Arizona

Chapitre 4 : Une nouvelle (in)justice

Le maire se racla la gorge, son discours allait commencer. Souvent, la première partie était en anglais, avant de basculer en russe. Pour que le plus de personnes possibles puissent comprendre son monologue bien ennuyant et lourd, aux grosses allures de mensonges.

— Chers habitants du Centre, chers réfugiés. Aujourd'hui est une journée spéciale. Comme vous le savez tous, aujourd'hui nous célébrons la victoire du Nouvel Empire Russe sur le monde. La victoire de nos valeurs. Ainsi nous avons pu nous débarrasser de l'influence déplorable des États-Unis sur le monde, mettre fin à un monde où un seul pays dirigeait d'une seule et même voix le devenir des autres, où la richesse excessive des uns fait le malheur des autres. Aujourd'hui, le Grand Territoire de Russie a mis fin cette époque invivable. Il a mis en place un renouveau. Certes, la bataille a été difficile et certains parlent de Catastrophe. Mais nous ne devons pas être d'accord avec ce terme. Désormais la liberté s'offre à nous, les plus riches de l'époque se retrouvent dans le changement et vivent comme d'autres personnes vivaient avant, mais qu'ils ne voyaient pas à cause de l'ombre déplorable des États-Unis sur le monde. Aujourd'hui, célébrons ensemble la nouvelle justice du monde et remercions le Nouvel Empire Russe !

Il continua son discours encore une bonne dizaine de minutes mais je ne l'écoutais plus, ce dernier étant en russe. Je me retenais de bailler, mais me contenait. On ne savait jamais. Un des foutus gardes, ou le père de cette fameuse Alevtina, qui surveillaient dans chaque coin de la place l'ordre de la cérémonie pourrait trouver cela indécent lors du discours. Je contemplais alors les visages autour de moi, certains captivés, d'autre ennuyés.

Des applaudissements se firent enfin entendre, mais sans tous avec la même conviction. Mais bon, applaudir faisait de nous de bons citoyens, et obéir était notre mot d'ordre. Une erreur, minime, pouvait nous amener en prison. Ce qu'aucun ne souhaitait. Même les refuges offraient une meilleure vie que les prisons. Puis la mélodie du nouvel hymne national retentit. Seuls les plus jeunes chantaient, car eux seuls le connaissaient suffisamment. Je ne chantais pas, je bougeais juste les lèvres. Jake faisait de même. Devant nous, Will et Alevtina le connaissaient par cœur. Avec Jake, nous étions au moins obligés de faire semblant. Avec un sourire de temps en temps, sinon notre nonchalance était bien vite remarquée. Par la peur, nous agissions comme des automates. Sinon, on était jugés. Et les peines de prison étaient cauchemardesques.

Quand l'hymne fut terminé, on dût faire une minute de silence, « en souvenir à ces puissants soldats russes décédés pour la liberté et vaincre leur cruel ennemi américain ». Cette phrase me donnait clairement envie de vomir, mais comme toujours, le silence demeurait roi. Le monde était injuste ? Oui. Se rebeller ? Nous étions trop faibles. Le monde ne cherchait qu'à reconstruire ses piliers branlants. Le temps était un ami autant qu'un ennemi.

Soudain, une voix. 

Je fis les gros yeux. La main de Jake sur mon épaule se crispa, tandis que Will soupira. Celle-ci, personne ne l'avait jamais faîte. Qui était assez abruti pour rompre la minute de silence ? Bien que je n'approuvais pas ce recueillement, je tenais à ma propre vie, et au possible avenir de misère que je pouvais me faire. C'était mieux qu'un futur de prisonnière. Puis on entendit quelqu'un chanter. Des garçons à côté de Will ricanaient doucement. Oui, cette année il y avait un énorme abruti parmi la foule. Bien que la voix douce, d'une jeune fille, était jolie, il n'y avait pas grand-chose d'intelligent à ce qu'elle tentait de faire. Je me retournais, cherchant la personne qui s'exposait à des sanctions pour ne pas se plier aux « règles du souvenir ».

« Toi mon bel oiseau,

Ma douce colombe,

Toi qui vole si haut,

Vois-tu tous ces corps qui tombent ?

En survolant les États-Unis,

En survolant le monde,