Chapitre 44 : Les nuages

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Trois jours, cela pouvait être extrêmement rapide comme horriblement lent. Malheureusement pour moi, mes derniers jours au nouveau camp s'étaient écoulés à une cadence déchaînée. Forcément, les dernières heures étaient clairement les pires. Ce matin-là, j'avais rejoint mes amis au réfectoire, la boule au ventre et sans envie. Je mangeais mes fruits dans du chocolat fondu, ainsi que des biscuits secs et du café. Maintenant que je comprenais l'espagnol, j'arrivais à choisir les meilleurs plats. Les fruits au chocolat et le café faisaient partis de mes favoris. L'infirmière trouvait parfois que je consommais trop sucré, mais ce goût m'avait manqué. Au moins, cela m'aidait à prendre des forces et du poids. J'avais dû lui promettre qu'une fois installée dans L'UNASUR, j'adopterai une alimentation saine et équilibrée. Elle comme moi savions que je ne tiendrais probablement pas mes mots.

À dix-sept heures pile, Marcello était venu, tout sourire, dans le bâtiment où on avait l'ordre de l'attendre. Il avait abandonné ses éternelles chemises blanches pour un costume militaire brun, décoré d'une broche en forme d'aigle au niveau du cœur. Cela lui donnait un air plus strict et respectable. Mais il accompagnait sa stature d'un grand sourire franc, qui lui donnait encore plus de charisme. Kai semblait me surveiller du coin de l'œil pour que je ne m'amourache pas trop à la vision de notre sauveur, et Amaury ne cachait pas son regard contemplatif pour l'homme.

— Bonjour, écoutez-moi ! lança-t-il de sa voix portante. Aujourd'hui, vous allez enfin pouvoir entrer dans L'UNASUR. Malheureusement, je suis au regret de vous annoncer que les médias sont tout aussi présents pour vous filmer (on sentait à sa voix que cela l'énervait aussi). C'est la première fois que l'on accueille autant de réfugiés. J'ai essayé d'empêcher ce trop-plein de médias de venir, mais je n'ai pas réussi, j'en suis désolé. Ils nous attendent derrière les grilles. Ne vous laissez pas intimider. Ne répondez pas à leurs questions. Ignorez-les. Tâchez juste de me suivre jusqu'à l'avion, nous décollerons pour Brasilia.

Marcello s'éloigna vers la porte d'entrée, et nous appela pour le rejoindre. Le calme qui régnait habituellement au camp avait disparu, des bribes de cris et de conversations nous parvenaient de l'extérieur.

Nous suivîmes Marcello jusqu'à l'entrée du camp, où le grand portail aux larges barreaux de fer se dressait sur trois mètres de haut. Derrière les grillages, des journalistes avec des petites caméras et des micros nous observaient, tout en criant des questions incompréhensibles noyées parmi tant d'autres. Mais surtout, leurs regards curieux me répugnaient. Désormais, derrière des grillages et avec des individus qui nous filmaient, je devenais presque un animal. Coincée à l'arrière des barreaux, devenant l'intérêt général d'individus qui semblaient nous découvrir pour la première fois, je me sentais très mal à l'aise. Je voyais que c'était aussi le cas de tous mes compagnons. Dans les yeux perçants des journalistes et leurs cris, j'avais l'impression d'être différente d'eux, d'attirer leur curiosité juste parce que je n'avais pas leur histoire semblable. Comme si malgré mon apparence humaine, je ne devais être traitée seulement comme un vulgaire animal sauvage, comme si j'allais leur sauter au cou pour les engorger si jamais le grillage lâchait. Pour eux, je n'étais sans doute pas humaine, ayant vécu dans la peur et la pauvreté, et n'ayant pas connu leurs modes de vie évolués comme on avait pu m'apprendre au camp.

Mais j'en avais marre, ce n'était pas ma faute ! Je n'avais jamais voulu qu'on bombarde un continent pour une question ridicule de pouvoir, jamais je n'avais voulu que notre monde devienne aussi instable, jamais je n'avais eu envie d'aller quotidiennement défier la mort en Arizona ! Jamais je n'avais voulu que des incapables au pouvoir décident de ma vie entière, en la détruisant à chaque instant. Je voulais juste être humaine, comme eux, qui avaient une chance inouïe de vivre dans la sécurité. Ils ne s'en rendaient pas compte. Mais ils étaient les plus heureux sur cette planète.

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