39 - Vérité aveuglante

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Luc patientait près de la porte, il n'avait pas osé faire plus de deux pas en direction de la cellule. Il tenait un plateau de nourriture, fébrile. La cuillère tremblait sur le revêtement de plastique dur et un quignon de pain rassis oscillait près du bord. L'apprenti détournait les yeux pendant que Nevak et Horton faisaient sortir Seth de sa prison, sous le regard désapprobateur d'Ellie.

Le captif se montrait docile, l'air d'avoir déjà jeté l'éponge. Les yeux bandés et la tête basse, il se laissa guider hors de la pièce par les bourrades indélicates des soldats. Ils seraient moins tendres qu'ils ne l'avaient été durant l'interrogatoire de Luc. Oui, le jeune mécanicien avait bien fait de leur dire d'emblée tout ce qu'il savait, sinon il aurait été bon pour bien plus qu'une intense séance d'intimidation.

Les soldats et leur prisonnier disparurent derrière la porte, laissant Luc seul face à celle qu'il avait trahie. Elle le fixait avec un mélange déconcertant de curiosité et d'amertume.

— Ça a plutôt intérêt à être pour moi, ça, prévint-elle en adoptant une posture nonchalante sur le bord de la planche de couchage.

L'apprenti manqua de faire tomber son plateau, pas encore prêt à affronter les conséquences de ses actes. Ses réseaux neuronaux se mirent en branle et il comprit, après quelques secondes d'hébétude, qu'Ellie lorgnait sur la nourriture entre ses mains.

— Oh, euh, oui, bien sûr, bafouilla-t-il en décollant enfin ses semelles du seuil.

Devant les barreaux, il constata qu'il ne pourrait pas passer son plateau de l'autre côté. Il dut se résoudre à le poser au sol tandis que la captive s'installait en face. En glissant sa main hors de la cellule, elle saisit la cuillère qu'elle plongea dans une assiette de riz avec une satisfaction non dissimulée. La contrainte des barreaux entre la jeune femme et le plateau-repas ne parvenait pas à gâcher son plaisir.

— J'avais pas le choix, tenta de se dédouaner Luc, après un long silence qui faisait perdurer son malaise.

Ellie attrapa une boîte de sardines à l'huile au couvercle enroulé sur lui-même et y piocha un petit poisson qu'elle goba tout entier, avant de se lécher la pulpe des doigts avec gourmandise. Elle n'avait pas l'air de vouloir engager la conversation avec son ancien allié. L'apprenti guettait des remontrances qui n'arrivaient pas, ce qui était pire d'une certaine manière. Il se sentait ignoré, même pas assez estimé pour qu'on se donne la peine de lui en vouloir.

— On m'a pas autorisé à te donner de couteau, déplora-t-il en la regardant engloutir les sardines entières une à une.

— Pas grave, au moins celles-là sont cuites. Quand j'étais à l'armée, on nous a fait gober des sardines crues pour apprendre à contrôler notre réflexe vomitif. Et je peux t'assurer que même ça, c'était pas aussi répugnant que les rations de survie qu'on se tape depuis des mois.

Qu'est-ce qui était censé surprendre Luc le plus dans tout ça ? Qu'elle lui révèle sans préavis un passé militaire jamais évoqué jusque-là ? Ou bien qu'elle s'adresse soudain à lui avec un sourire, comme si la présence de barreaux entre eux n'était pas le fait d'un acte de délation regrettable ?

— Ils ont consulté tout l'historique des commandes, se justifia encore l'apprenti, poussé par un besoin irrépressible de s'auto-flageller. Ils auraient fini par comprendre et vous trouver, même si j'avais tenu ma langue.

— Alors ils te font confiance maintenant ? supposa Ellie, plus intéressée par les opportunités à venir que par les erreurs du passé.

StockholmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant