26 - Froideur

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Falco avait raison, ce n'était ni aussi difficile ni aussi dangereux qu'on aurait pu l'imaginer. Ellie ne s'inquiétait plus d'être une punaise sans défense sur le ventre du Stockholm, exposée aux hypothétiques débris spatiaux ou à de quelconques radiations dont elle ignorait tout. Pendant une fraction de secondes, la vue d'une quantité troublante de minuscules trous dans la coque avait fait resurgir ses angoisses ; Falco l'avait assurée que l'intégrité du vaisseau n'en était pas affectée et que l'épaisseur des multiples couches de protection faisait son travail sans faillir depuis les dizaines d'années que ce rafiot écumait l'espace. Par ailleurs, le Stockholm était propulsé par des moteurs supraluminiques qui les encapsulaient dans une poche d'espace-temps les mettant à l'abri de tels dangers.

En réalité, ce n'était pas les explications du mécanicien qui avaient écarté les pensées de la jeune femme de leur fragile condition d'êtres de chair perdus dans une infinité hostile à la vie ; savoir que Seth les guettait, prêt à les cueillir dès leur retour, suffisait à occulter toute autre considération dans son esprit.

Une trappe ouverte devant son visage narguait Ellie. Tout au fond, derrière une double paroi de protection, se cachaient les circuits qu'elle était chargée de détourner. Débrancher un câble, le rebrancher à un autre système décalé de dix centimètres sur la droite, rien de sorcier. Elle referma la trappe sans avoir rien modifié.

Falco se trouvait à six ou sept mètres devant elle. Il s'occupait d'une autre partie plus technique et récupérait de temps à autre du petit matériel dans un sac attaché à sa ceinture. Il avait l'air concentré et serein, inconscient du danger que ses connaissances représentaient pour la mission du Stockholm.

Ellie porta la main à sa taille sans quitter son collègue des yeux. A tâtons, elle trouva un des mousquetons qui la reliaient à lui. Elle dévissa l'embout, maladroite avec ses gants trop lâches, plus libéra l'attache. Une ondée se propagea le long de la corde, faible mais suffisante pour attirer l'attention de l'homme. Il la dévisagea avec effroi.

— Qu'est-ce que tu fous, San Lucar ? cracha-t-il dans son casque.

Elle empoigna le second mousqueton, le dernier, et tenta de l'ouvrir à la hâte. Son souffle s'accélérait tandis qu'elle voyait l'homme furieux s'élancer dans sa direction dans un vol plané audacieux.

— Arrête ça, salope !

Voilà, ils n'étaient plus reliés par la corde, mais Falco arrivait sur elle à toute vitesse. Il la percuta en la saisissant par les épaules et la fit chuter contre la coque. Elle tenta de le repousser malgré ses mouvements entravés par l'inconfortable combinaison, mais il la replaqua de plus belle contre la paroi. Cette fois, il essayait de débloquer les deux autres mousquetons qui rattachaient la jeune femme au Stockholm comme un cordon ombilical.

— A quoi tu joues, putain ? s'excita-t-il en triturant la première attache qui céda enfin à ses assauts répétés.

Impuissante face à la force de l'homme enragé, elle cessa de se débattre juste assez longtemps pour examiner la situation sous un autre angle. Pendant quelques secondes irréelles, elle eut la sensation de sortir de son corps et d'observer la scène à distance : Falco qui se déchaînait sur le dernier mousqueton récalcitrant, elle qui ne réagissait plus. Et puis elle se vit tendre la main vers une lourde clé à molette attachée à la ceinture du mécanicien, hisser l'outil d'un geste lent et mesuré, et enfin l'abattre avec l'énergie de la dernière chance sur le casque de son assaillant.

Sous l'impact, Falco lâcha prise. Il loucha sur la fissure étoilée qui mangeait la moitié de sa visière, puis il agita les bras et les jambes en se sentant partir en arrière. Il eut la sensation de se liquéfier de l'intérieur en constatant qu'il s'éloignait de la carlingue à un rythme lent mais régulier, sans la moindre corde de sécurité pour le retenir.

StockholmWhere stories live. Discover now