35 - Chacun ses secrets

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Un goût de fer se répandit dans la bouche de Luc, il mordillait sa lèvre avec tant d'acharnement que la muqueuse fragile avait fini par se fendiller jusqu'au sang. Il se tenait en retrait près de la porte tandis que les soldats passaient en revue tous les systèmes du Stockholm. Le capitaine Dubrov faisait les cent pas dans la cabine en surveillant tout à la fois le travail de ses hommes et l'attitude du pseudo chef de mission à peine sorti des jupes de sa mère.

— Ce secteur a été fermé aux transports civils depuis des mois, rappela l'officier en alternant les coups d'œil entre Luc et l'autorisation à priori officielle que le jeune homme lui avait transmise.

— Je ne sais pas quoi vous dire de plus, baragouina l'accusé à mi-chemin entre l'embarras et l'agacement. Le Stockholm a décollé dans les règles juste avant la mise en place des restrictions. Vous avez entre les mains les documents qui le prouvent.

— Quelqu'un de sensé aurait fait demi-tour en apprenant la situation.

— Ce transport est une mission humanitaire. Les colons sur Chimaera ont besoin du matériel et des ressources qui leur ont été promis pour survivre.

— Ils n'avaient qu'à rentrer sur Terre comme tout le monde au lieu de s'acharner, jugea Dubrov avec une grimace de mépris.

La colonie sur Chimaera était une épine dans le pied de l'ADICT, la seule planète encore habitée dans un secteur contrôlé d'un bout à l'autre par l'armée. L'état-major avait su faire pression pour pousser à l'évacuation des autres planètes, quitte à rediriger les habitants vers de quelconques colonies intérieures quand la Terre peinait à absorber l'afflux de réfugiés ; mais Chimaera était un cas à part. Cette colonie-là avait été fondée par le consortium des chimères, un puissant groupe financier qui avait su placer ses pions à tous les échelons des gouvernements mondiaux. Chimaera passait pour l'instant entre les mailles du filet et défendait bec et ongles son droit à se maintenir dans le secteur le plus reculé du territoire humain, n'en déplaise aux quelques hauts gradés que cet état de fait faisait grincer des dents.

— Mon capitaine, vous devriez venir voir ça, intervint Nevak sans quitter les écrans des yeux.

Le supérieur adressa un regard plein de suspicion à Luc avant de rejoindre les soldats absorbés par leurs découvertes. L'apprenti se crispa et la déglutition se fit douloureuse dans sa gorge serrée. Les idées se chevauchèrent tant et si bien dans son esprit qu'il ne parvenait plus à former une seule pensée cohérente. Il était fichu.

Les trois militaires échangèrent des messes basses sans cesser de faire défiler les données sur l'écran principal. Ils pianotaient avec une célérité grandissante, aussi excités que des renards alléchés par l'odeur à l'entrée d'un terrier de lapin. Luc recula contre le mur et se laissa couler sur un siège qui se trouvait là ; ses jambes n'étaient plus capables de supporter son poids. Enfin, le capitaine Dubrov se retourna vers sa prise acculée, ses épais sourcils froncés :

— Mais qu'est-ce que vous avez foutu avec les commandes de ce vaisseau, bon sang ?

— Je-je peux, je peux expliquer... s'embrouilla Luc en flageolant sur son assise instable.

— J'aimerais mieux, oui.

L'officier s'avançait d'un pas lent vers sa cible, menaçant, le regard intrusif. Luc transpirait sur la sellette, et il n'était pas le moins du monde préparé à se défendre.

— C'est ma faute, lança-t-il comme un os à un chien de garde. J'ai présumé de mes capacités et j'ai fait plein d'erreurs en manipulant l'IA. J'ai pas fait exprès.

StockholmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant