23 - L'ennemi de mon ennemi

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Ellie avait réussi à se faire accepter par le vieux mécanicien, ce qui n'était pas gagné d'avance eu égard à leur passif houleux. Elle n'aurait pas été surprise s'il l'avait rejetée et traitée en ennemie ; mais Falco avait sur ce vaisseau un adversaire bien plus haïssable qu'elle, et comme le disait l'adage : l'ennemi de ton ennemi est ton ami. Ces deux forts caractères seraient donc alliés aussi longtemps que leurs intérêts coïncidaient.

La jeune femme avait examiné d'un œil sceptique le chantier innommable qu'était devenue la prétendue salle des machines. Sans la présence des turbines qui mangeaient tout l'espace central, elle se serait crue dans une banale, quoique monumentale, soute mise en désordre après une panne des moteurs inertiels. Elle avait nargué Falco en évoquant le cocasse tremblement de galaxie qui avait tout dérangé, mais il n'avait pas pris la mouche, trop absorbé par une quelconque dérivation de dieu sait quel branchement tarabiscoté issu de son imagination trop fertile. Il n'avait pas chômé, c'était certain. Ça avait dû lui prendre une énergie et un temps fous pour rassembler tout ce matériel ici.

La nouvelle occupante des lieux s'était installée dans un creux entre deux caisses avec quelques couvertures. Elle se sentait plutôt inutile jusqu'à présent. Son colocataire de circonstance l'ignorait bien cordialement pendant qu'elle s'ennuyait à mourir. La présence discrète et servile de Luc commençait presque à lui manquer. Même l'obscurité la rendait nostalgique maintenant qu'elle était exposée sous ces lumières criardes constantes ; ses yeux avaient mis un moment à s'y faire. La fatigue la guettait mais elle ne trouvait pas le sommeil dans ces conditions, et Falco n'avait pas l'air de vouloir faire de pause lui non plus.

— Tu t'es occupé des moutons pendant mon absence ? demanda-t-elle à travers la pièce.

— Tu fais une fixette sur ces bestiaux ma parole, râla le mécanicien sans se détourner de son activité. Non, je m'en suis pas occupé, j'avais autre chose à foutre, comme tu vois.

— J'espère qu'il leur restait assez de nourriture pour tenir le coup, appréhenda Ellie en repoussant la couverture sur ses jambes pour se lever. Je vais aller voir...

— C'est quoi le délire avec les moutons ? se retourna Falco, soudain suspicieux. Tu t'y intéresses beaucoup trop depuis le début, c'est louche. Qu'est-ce que ça cache ?

L'homme se redressa, une clé à molette à la main, et fixa un regard franc sur son acolyte.

— Ça a un rapport avec le quatrième passager, c'est ça hein ? devina-t-il en la dévisageant.

— Il... hésita-t-elle en réalisant que maintenir le mystère ne lui servirait à rien. Il mange de la viande crue.

— La chambre froide... murmura Falco pour lui-même.

Elle inclina la tête d'un air interrogateur, sourcils froncés.

— J'ai repéré une petite soute réglée sur une température négative, expliqua le mécanicien. J'ai aucune idée de pourquoi il a fait ça mais je me suis dit que ça l'emmerderait que je joue avec ses réglages alors j'ai remonté le mercure, juste pour le principe.

— Tu penses qu'il s'en servait pour stocker la viande des moutons ?

— Ça ferait sens, confirma-t-il.

— T'as pourri sa réserve de nourriture, réalisa Ellie avec une certaine anxiété. Bon sang, j'espère qu'il a pas fait un carnage dans la bergerie.

— Et moi j'espère surtout que cette bête bouffe pas de l'humain au petit déj'.

La jeune femme s'immobilisa dans son élan pour quitter la pièce.

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