6 - Un quatrième passager

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Le Stockholm était un navire vaste mais vétuste. Dans les couloirs, une lumière sur deux ne fonctionnait plus et, parmi les survivantes, un bon tiers grésillait désagréablement à l'oreille quand on s'en approchait. Des grilles de métal – pour bonne partie rouillées – recouvraient le sol des allées ; le bruit des pas qui résonnaient entre les parois ne faisait qu'accentuer l'impression d'une immensité vide.

Le vaisseau comprenait en majorité des soutes destinées à la cargaison – de taille et d'équipement variés en fonction du type de marchandise qu'elles étaient destinées à recevoir. Beaucoup étaient verrouillées le temps du voyage, inadaptées à une présence humaine dans un souci d'économie des systèmes de survie.

Mais au cœur du vaisseau, dans la zone la plus protégée, se nichait un espace plus accueillant : les quartiers réservés au personnel. Il y avait une douzaine de chambres individuelles, bien plus que nécessaire depuis que les réductions budgétaires avaient fait fondre la taille des équipages comme neige au soleil. On y trouvait aussi un modeste salon communautaire pour les moments de détente, une salle de contrôle pleine d'équipement informatique d'un autre âge et un mess où partager les repas entre collègues – ou en solitaire pour les employés moins chanceux.

C'est dans cette dernière pièce que Falco entraîna son neveu blessé et la passagère clandestine. Il avait pris le relais et soutenu Luc en le faisant avancer sans ménagement jusqu'à une banquette dans l'angle du mess. L'homme s'éclipsa ensuite dans la cuisine attenante pour revenir avec un pichet d'eau et des linges à la propreté douteuse.

— Essuie-toi, commanda-t-il à son apprenti en posant le matériel sur la table devant lui avec une intonation et des gestes rudes.

Luc attrapa le pichet à pleines mains et se désaltéra à petites gorgées douloureuses. La fraîcheur du liquide presque glacé se propageait dans sa poitrine meurtrie comme une brûlure mordante.

— C'est par amitié pour Barkha que j'ai accepté de t'embarquer alors t'as pas intérêt à nous causer des ennuis, menaça Falco en agitant un doigt furieux vers la jeune femme restée en retrait près de la porte, bras croisés dans une attitude séditieuse.

— Je n'ai rien à voir avec ce qui est arrivé à ce garçon, répliqua Ellie, opiniâtre. Si ce n'est pas vous qui avez fait monter cette chose à bord, elle a peut-être réussi à se faufiler seule pendant le chargement des soutes.

Falco considéra l'idée. Il fallait admettre que personne ne surveillait vraiment les allers et venues entre le vaisseau et le hangar pendant les quelques jours que durait le chargement. Est-ce qu'un animal sauvage aurait pu quitter l'abri de la forêt amazonienne toute proche et se retrouver enfermé dans une des soutes par accident ? On ne pouvait exclure cette possibilité.

Ce ne serait d'ailleurs pas le premier incident de ce type. Une vingtaine d'années plus tôt, une hase s'était trouvée prise au piège dans des conditions similaires. Quand l'équipage avait découvert sa présence à bord, il avait adopté et choyé l'animal comme une mascotte avant de lui rendre la liberté deux semaines plus tard sur le sol de la planète Sephis – à moins qu'il n'ait simplement échappé à la vigilance de ses nouveaux maîtres, les circonstances exactes étaient peu claires.

Quoiqu'il en soit, la femelle – déjà pleine au départ de la Terre – avait rapidement mis bas sur son nouveau lieu de villégiature : une portée de neuf levrauts, prêts à grandir et pulluler sur ce monde dépourvu de prédateurs suffisamment voraces pour contenir la frénésie reproductive des petites boules de poil. En moins de deux ans, les lagomorphes ravagèrent l'écosystème inadapté de Sephis et provoquèrent l'extinction d'espèces locales dont ils avaient dérobé la niche écologique.

StockholmWhere stories live. Discover now