4 - Capitaine Falco

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Au fond du hangar, Barkha surveillait deux de ses hommes qui peinaient à ouvrir les grandes portes rouillées ; l'humidité de la région n'éprouvait aucune pitié pour le matériel. Néanmoins, une fois l'accès dégagé, le panorama en valait assurément la peine.

A une centaine de mètres, au cœur d'un vaste terrain vague, la silhouette impressionnante du Stockholm se détachait de l'arrière-plan de verdure offert par la forêt amazonienne naissante. Cela faisait déjà trois jours que l'ombre du géant s'étalait sur l'horizon, le chargement d'un tel monstre représentait un travail de titan.

Toutes soutes ouvertes, le vaisseau libéra deux hommes équipés de transpalettes qui prirent la direction du hangar. Barkha les accueillit à l'intérieur ; il semblait familier avec le plus âgé des manutentionnaires et le salua d'une tape cordiale dans le dos.

— Ah, le capitaine Falco daigne enfin se montrer. Ça fait un bail que je t'ai pas vu sous nos latitudes !

Rémi Falco, cinquante-quatre ans, le front légèrement dégarni mais la carrure d'un homme rompu aux travaux physiques, abandonna son transpalette près d'un conteneur et tourna une mine gaillarde vers son vieil ami.

— C'est vrai que ça faisait un bail, Barkha ! Avec la diminution du transport de fret, j'ai été obligé d'accepter des missions pour des planètes plus lointaines, sinon ma femme allait être obligée de réduire son train de vie !

Les deux hommes partagèrent un grand rire gouailleur.

— J'imagine que la paie en vaut le coup, supputa Barkha. Mais Chimaera quand même, t'en as pour près de deux ans avant d'être de retour !

— Qu'est-ce que tu veux, c'est plus ce que c'était le métier de mécano, on est devenus des concierges plus qu'autre chose maintenant. Faut ce qui faut pour faire bouillir la marmite.

Sous ses airs impassibles, l'homme faisait taire la petite voix nostalgique qui murmurait encore à son oreille. Avant, durant l'âge d'or des voyages spatiaux, les mécaniciens comme lui jouissaient d'un statut de professionnels tenus en haute estime – dont on se disputait les talents à coups de salaires faramineux et d'avantages variés. C'était un temps où Falco pensait exercer le plus beau des métiers. Et il avait raison, sillonner l'espace à bord des plus prestigieux navires tout en entretenant leur belle mécanique avait de quoi faire rêver toute une génération d'étudiants en formation. Mais cet essor que tout le monde prédisait exponentiel n'avait pas tenu ses promesses.

Quand l'attrait pour la colonisation s'était tari et qu'une partie de la flotte – trop coûteuse d'entretien – avait été laissée à l'abandon, nombre de jeunes mécaniciens s'étaient reconvertis dans d'autres domaines plus demandeurs de main d'œuvre. Pour les plus têtus et ceux qui s'estimaient trop âgés pour changer de voie, comme Rémi Falco, il ne restait plus beaucoup de postes intéressants à pourvoir. Il était fini le temps des vols commerciaux et des navires de croisière, l'espace était dorénavant fréquenté en majorité par de vieux cargos transportant bêtement de la marchandise d'un point A à un point B.

En guise de cerise sur un gâteau devenu rance, on ne se donnait même plus la peine d'affecter un équipage humain à ces gros tas de ferraille, une simple IA de bord et une fonction de pilotage automatique suffisaient amplement à mener un navire à bon port. La seule chose qui n'était pas remplaçable restait l'expertise et les mains indispensables d'un mécanicien pour bricoler les entrailles du vaisseau en cas de panne. En complément, on leur demandait parfois d'assurer la survie de quelques têtes de bétail à destination de l'une ou l'autre colonie, ce qui serait le cas lors de cette traversée à bord du Stockholm. De mécanicien à garçon de ferme, il n'y avait qu'un pas dans l'espace, aussi aberrant cela soit-il.

StockholmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant