33 - Ferme les yeux

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L'Armée de Défense et Inspection des Colonies Terriennes avait déjà coupé l'herbe sous le pied d'Ellie en la radiant de ses rangs, et voilà que l'organisation menaçait encore une fois de se mettre en travers de son chemin alors qu'elle était si près du but. Chimaera ne se trouvait plus qu'à deux mois de voyage, et pourtant elle semblait plus inatteignable que jamais. Le constat de Luc était sans appel, une patrouille de l'ADICT avait pris le contrôle de leur IA de bord à distance et ils n'étaient plus qu'une tortue renversée sur le dos en attendant que le vaisseau militaire les accoste.

Le jeune homme avait tenté de se montrer rassurant ; ce ne serait qu'un simple contrôle de sécurité ; leurs papiers étaient en règle et tout cela ne représentait qu'un contre-temps mineur. Il oubliait toutefois de préciser quelques détails d'importance : le chef de mission désigné par les documents officiels n'était plus à bord, et le Stockholm transportait deux passagers clandestins en toute impunité depuis huit mois ; sans compter le délestage d'une partie de la cargaison dans le vide interstellaire, un délit de pollution sévèrement puni.

Le temps filait et les contrevenants devaient s'organiser au plus vite. Dans moins de deux heures, les soldats de l'ADICT fouleraient le pont du Stockholm. L'idée de faire passer Luc pour son oncle traversa brièvement leurs esprits, mais ils l'écartèrent aussitôt après l'avoir formulée ; le jeune apprenti n'était pas crédible un seul instant dans le rôle de mécanicien en chef. Ellie renonça quant à elle à endosser le bleu de travail de la stagiaire sous-payée ; aucune femme n'apparaissait sur les registres et elle serait considérée comme une resquilleuse quelle que soit son excuse. Cependant, le plus gros défi de tous serait d'arriver à dissimuler la présence de leur prisonnier.

— Et si on le dénonçait ? proposa Luc pendant qu'il fouillait la chambre de Falco à la recherche des documents officiels autorisant le Stockholm à naviguer dans ce secteur reculé.

Ellie en lâcha la boîte en carton pleine de paperasse qu'elle venait de sortir du placard.

— Tu serais prêt à nous dénoncer ? s'assombrit-elle en se baissant pour ramasser le fouillis à ses pieds.

— Mais non, pas toi ! rectifia Luc. Seulement lui, qu'on en soit débarrassés.

— Tu te rends pas compte de ce que tu dis. S'ils mettent la main sur Seth, je peux te garantir qu'ils vont retourner ce vaisseau comme une chaussette pour en trouver d'autres... des comme lui.

— Des comme lui ? répéta Luc, incrédule.

— Oh fais pas le naïf, s'agaça sa camarade en fourrant sans délicatesse les papiers froissés dans leur boîte d'origine. Tu sais bien qu'il n'est pas comme nous. C'est un spécimen... rare.

— T'as parlé avec lui... soupçonna le jeune homme, grincheux. T'as promis que tu ne faisais que déposer les rations dans sa chambre et qu'il n'y avait aucun contact.

Ellie posa un regard irrité sur son accusateur, il était hors de question qu'elle se justifie devant ce gamin pétri de bonne morale.

— Y'a pas besoin de lui parler pour voir qu'il est différent, répliqua-t-elle avec sévérité. Si l'armée le chope, ils se gêneront pas pour faire tout un tas d'expériences atroces sur lui. Leur en parler, ça serait tendre le bâton pour se faire battre. Un fois qu'ils auront flairé l'odeur du sang, on pourra plus se débarrasser d'eux et ils me trouveront moi aussi. C'est ça que tu veux ? Me livrer à ces brutes ?

Ce petit laïus avait ébranlé Luc, la manipulatrice pouvait voir la portée de ses paroles dans la lueur vacillante de son regard.

— Tu as raison, abdiqua-t-il en s'approchant pour l'aider à ramasser les papiers éparpillés. Plus vite ces soldats seront partis, mieux ce sera.

StockholmWhere stories live. Discover now