34 - Gestes invasifs

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Luc se sentait plus nerveux qu'avant de passer ses examens à la fin du lycée, plus nerveux que le jour où il avait invité Lucia – la fille qui lui plaisait depuis le collège – au cinéma seul à seul. Il rajusta le col de sa chemise qui s'obstinait à se placer de travers.

Tout va bien, les papiers sont en règle, il n'y a aucune raison que ça se passe mal, se répétait-il jusqu'à s'en convaincre à moitié.

L'écran principal, en cabine de pilotage, annonçait l'amarrage réussi du patrouilleur de l'ADICT : le Waterloo. Les dés étaient jetés, aller de l'avant restait la seule direction possible. Luc récupéra la liasse de papiers posée sur la console et se dirigea vers le pont d'accueil.

En sortant de la cabine, il tourna la tête vers la cellule du prisonnier au bout du couloir ; la porte était entrouverte. Il espérait qu'Ellie avait correctement vidé la pièce pour ne laisser aucune trace de leur passage. Dorénavant, le jeune homme se sentait comme une marionnette impuissante entre les mains du destin. Les courants qui l'emportaient ne lui accorderaient pas un mot dans les événements qui s'annonçaient. Il ne pouvait que jouer sagement son rôle et se laisser charrier par les vagues impétueuses. Advienne que pourra.

La salle qui recevrait les visiteurs ressemblait à un vestiaire de piscine ; il y avait des casiers le long des murs et des bancs en métal rivetés au sol. Au fond, une porte-écoutille à verrouillage par volant central faisait figure de dernier rempart entre les deux navires joints. Lorsque le système d'ouverture commença à tourner en grinçant, Luc se crispa sur ses documents déjà froissés.

Enfin, la porte se débloqua, accompagnée par un bruit de dégazage de nature à inquiéter un jeune apprenti inexpérimenté. L'atmosphère du Waterloo se mêla à celle du Stockholm tels les relents d'un baiser non consenti. Des cliquetis et des pas lourds résonnèrent derrière la paroi, juste avant que le passage ne soit complètement dégagé. Trois paires de rangers frappèrent le sol du navire arraisonné avec assurance et autorité.

— B-bonjour, bafouilla Luc en reculant de deux pas.

Les trois soldats affichaient un air conquérant et crâneur. Ils portaient des treillis bleu nuit surmontés de gilets pare-balles à l'utilité incertaine dans un environnement qui interdisait l'utilisation d'armes à projectiles perforants ; à leur ceinture pendaient une matraque et un shocker à impulsion électrique ; sur leur tête trônait un casque noir équipé de jumelles. Le plus âgé, flanqué de ses subalternes, s'avança si près de leur hôte que Luc sentit son espace personnel être violé.

— Capitaine Dubrov, se présenta l'homme en se penchant au-dessus du civil intimidé et plus petit d'une bonne tête. Votre vaisseau a franchi les limites d'une zone restreinte, comment vous expliquez ça, mon garçon ?

— J'ai les autorisations nécessaires, regardez ! se défendit Luc en tendant les papiers en question à bout de bras dans l'espoir de rétablir un minimum de distance entre eux.

Dubrov lui arracha les documents des mains pour les examiner d'un œil suspicieux. Pas le moindre commentaire ne franchit les lèvres de l'officier. Il adressa des coups d'œil équivoques à ses soldats – Horton et Nevak à en croire l'inscription sur leur poitrine – qui contournèrent le jeune mécanicien suppléant de part et d'autre avant de se rejoindre dans son dos. Luc était cerné ; les premières gouttes de sueur perlèrent sur son front.

— Conduisez-nous en cabine de pilotage, ordonna Dubrov.

L'apprenti acculé s'exécuta sans broncher, se retournant vers le couloir ainsi que vers les deux hommes dans son dos. Il n'eut pourtant pas le loisir de guider grand monde, Horton et Nevak ouvraient la marche et donnaient l'impression de très bien savoir où ils allaient. A l'évidence, la majorité des vaisseaux de transport qui quadrillaient l'espace colonisé étaient conçus sur un modèle similaire ; la configuration du Stockholm n'avait pas de secret pour ces soldats expérimentés.

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