16 - Œil pour œil

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Au moins, Ellie avait eu la présence d'esprit de couper le circuit électrique avant de s'aventurer entre les mailles de sa clôture bringuebalante. Ça ne l'avait pas empêchée de se blesser quand même. Un fil de fer vicieux avait cru malin de s'accrocher au pantalon en toile de l'acrobate intrépide et lui avait laissé une vilaine entaille au mollet en guise de souvenir.

Une farandole de jurons plus tard, la jeune femme atteignait enfin la trappe discrète au plafond et se hissait dans le conduit adjacent. Elle hésita à allumer sa lampe de poche faiblissante mais convint que rien de bien sérieux ne pouvait l'attendre dans cette enfilade répétitive de tunnels aseptisés, elle laissa donc l'objet sommeiller un peu plus longtemps dans la partie de son pantalon d'où il tenait son nom. Sauf mauvaise blague de la part de l'univers, elle se souvenait de l'agencement du circuit dans lequel elle se trouvait et pensait pouvoir rejoindre les coursives sans trop de difficulté.

A tâtons, Ellie se mit à avancer dans l'étroit conduit de métal. Pas une seule veilleuse ici, c'était le noir absolu ; ses mains étaient ses yeux. Ses genoux lui firent rapidement mal, de même que sa nuque qu'elle devait garder basse pour ne pas se cogner la tête. Le bruit de son souffle remplissait l'espace et de faibles échos de ses propres mouvements lui revenaient. Ce ne pouvait être que des échos, n'est-ce pas ? A cet instant, elle regrettait un peu son goût prononcé pour les films d'horreur.

Son parcours fut plus bref que l'impression qu'il lui laissa et elle finit par atteindre une gaine technique bourrée de câbles. Il y avait juste assez de place pour qu'elle puisse s'y faufiler en se laissant glisser vers le bas. Une trappe de la taille d'une porte ouvrait directement sur un couloir.

La pénombre olivâtre des coursives apparaissait presque claire après cette nuit étouffante. Ellie rajusta les vêtements qui s'étaient entortillés autour de son buste. Elle n'avait pas enfilé de chaussures pour limiter le bruit et commença à trottiner avec prudence dans les coursives. Peut-être qu'elle aurait dû prendre des chaussettes ; sa peau nue produisait des petits sons de succion sur le métal froid et souffrait dans les zones où le sol était recouvert de grilles. Elle prit une note mentale pour sa prochaine évasion à bord d'un vaisseau spatial : toujours équiper ses pieds correctement.

Un grincement stoppa la jeune femme dans sa course. Elle s'arrêta à l'angle d'un couloir et tendit l'oreille. Il y avait des pas à une vingtaine de mètres. Un rai de lumière apparut alors au bout du passage, de plus en plus gros, de plus en plus éblouissant ; puis la silhouette bien reconnaissable de Falco fit son apparition.

Ellie sortit de l'ombre et se planta à dix mètres devant l'homme. Il sursauta lorsqu'elle surgit ; il était clairement sur les nerfs, prêt à bondir à la moindre occasion. Un silence de plusieurs secondes prit ses aises entre eux.

— Il est venu pour moi, annonça enfin le mécanicien en s'agrippant à sa puissante lampe-torche comme à un radeau de survie.

— Alors occupe-le, je fonce vers l'avant du vaisseau, décréta Ellie, une main en visière pour se protéger de la luminosité agressive.

— San Lucar ! la retint-il alors qu'elle s'apprêtait déjà à filer. Fais gaffe, c'est pas humain ce truc...

Les pensées de la jeune femme se bousculèrent dans sa tête. Il lui fallut deux longues secondes pour les ordonner et les reléguer à l'arrière-plan. Ne pas perdre de vue son objectif. Ne pas se laisser distraire. Garder le contrôle.

— Je vais retrouver Luc, affirma-t-elle autant pour consolider sa priorité que pour couper court aux pensées de Falco.

Le mécanicien approuva d'un hochement de tête ferme. L'évocation de son neveu lui avait rappelé l'essentiel et rendu un peu de sa détermination mise à mal. C'était lui le chasseur, il avait été à deux doigts de l'oublier. Un pincement se fit tout de même sentir au fond de sa gorge tandis qu'il observait la silhouette de sa camarade se faire avaler par l'obscurité insondable. Il était à nouveau seul.

StockholmWhere stories live. Discover now