2 - Kourou (2/2)

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Derrière la porte s'ouvrait un espace immense, un hangar encombré de colis de marchandises et balayé par les vents qui s'engouffraient sous la toiture mal isolée. Toutes ces caisses avaient déjà voyagé dans l'espace, ou s'apprêtaient à le faire.

— Alors dis-moi, reprit Barkha en entraînant la jeune femme vers le fond du hangar. Qu'est-ce qui pousse une fillette comme toi à fuir la Terre ?

— Ça vous intéresse vraiment ou c'est juste histoire de faire la conversation ? Si c'est ça, je préfère parler de la pluie et du beau temps.

L'homme rit à nouveau, quoiqu'avec un peu moins d'entrain cette fois. Elle l'amusait, cette gamine coriace, mais il sentait qu'elle pouvait aussi rapidement lui taper sur le système si elle persistait dans son attitude cassante et revêche, à la limite de l'arrogance.

— C'est que c'est pas courant les gens qui resquillent pour fuir la Terre de nos jours, poursuivit-il malgré tout. D'habitude, c'est plutôt l'inverse !

— J'ai l'esprit de contradiction, répondit Ellie en s'autorisant pour la première fois un sourire.

Barkha avait raison, les jours dorés de la colonisation étaient loin derrière eux à présent. Les choses avaient pourtant bien démarré lorsque, une soixantaine d'années plus tôt, l'essor de la technologie avait enfin donné à l'humanité les moyens de circuler raisonnablement vite parmi les étoiles. Seulement quelques mois de voyage permettaient de rallier les systèmes stellaires les plus proches, et on estimait à quelques années la durée du trajet nécessaire pour atteindre les confins encore inexplorés de la voie lactée.

Les projets de colonisation avaient fleuri puis proliféré comme les pâquerettes au printemps, se multipliant plus vite que la flotte de vaisseaux disponibles. Presque tous les pays du globe s'étaient lancés simultanément dans la course folle vers l'occupation de leur propre exoplanète personnelle. Quelques conglomérats d'entreprises eurent la même idée et financèrent eux-mêmes leur rêve de grandeur sur de nouveaux terrains de jeu. Il y eut quelques tentatives anecdotiques supportées par l'ambition d'une poignée de passionnés d'astronomie, mais peu aboutirent. Et puis il y eut des départs en masse de ce que l'on appela des vaisseaux de pèlerinage : des essaims de navires financés par un petit nombre d'instances religieuses et une quantité effarante de mouvements sectaires, mettant à profit les économies de leurs fidèles bien dociles. Tous souhaitaient étendre leur influence sur une planète qu'ils contrôleraient dans tous ses aspects, loin des lois et de la surveillance terrienne.

Ce nouvel El Dorado, à des années-lumière de la Terre, fit fantasmer l'humanité entière et attira des foules de colons extatiques pendant plusieurs décennies, le tout avec peu voire aucun contrôle ni organisation. Quand Ellie était enfant, les exoplanètes lointaines faisaient encore rêver la génération de ses parents, et puis la vapeur s'était progressivement renversée. Les conditions de vie avaient changé sur la Terre dépeuplée. Non seulement l'exode effréné vers l'espace avait-il vidé la planète-mère de quantité de ses occupants, mais aussi l'humanité commençait-elle à subir le contre-coup d'une chute drastique du taux de natalité. Depuis près d'un siècle déjà, on ne trouvait plus qu'un couple sur deux prêt à accueillir un enfant dans sa vie déjà trop remplie de tâches et activités diverses ; et parmi ceux-là, très peu choisissaient de renouveler l'exténuante expérience une seconde fois. L'enfant unique s'imposait comme la norme et le nombre de terriens était en chute libre.

Pour pallier cette désertification alarmante et nuisible à l'économie, une majorité de pays renoncèrent à leurs colonies coûteuses d'entretien et rappelèrent leurs ressortissants dans leur patrie terrestre. Ceux qui refusèrent de rentrer au bercail furent livrés à eux-mêmes, coupés du soutien et des ressources de la Terre – lesquelles s'avéraient pourtant indispensables à la pérennisation de la vie humaine sur ces mondes sauvages aux infrastructures encore balbutiantes. Seules les colonies religieuses s'entêtèrent dans leur entreprise et refusèrent catégoriquement de revenir sur leurs pas, s'isolant davantage encore du reste de l'humanité.

StockholmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant