36 - Planète de malheur

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Mai 2204, quelques jours avant le décollage du Stockholm.

La journée avait été éprouvante et le corps de Sept en portait les meurtrissures. Sa mâchoire était douloureuse d'avoir passé des heures prisonnière d'un écarteur. Comme souvent, il n'avait pas la moindre idée de ce que les humains avaient cherché à obtenir de lui. En tout cas, cette fois, ils avaient gardé une molaire en souvenir de leurs méfaits, extraite sans anesthésie pour ne pas déroger à leur image de tortionnaires insensibles.

Le cobaye tentait d'oublier les épreuves de la journée, ramassé en boule dans un coin de sa cage. Le laboratoire s'était vidé de ses scientifiques et un technicien viendrait bientôt pour remiser les prisonniers dans leur placard sombre. Ce bref interlude était souvent l'occasion d'échanger quelques mots avec un congénère parqué dans la même pièce. Aujourd'hui, Trois avait subi des tortures similaires à celles de Sept, mais il n'était pas en état de communiquer ; le malheureux gisait étalé dans le fond de sa cage, inconscient.

Les captifs n'avaient jamais grand-chose à se dire, limités par leur maîtrise grandissante mais restreinte de la langue humaine – qu'ils s'astreignaient à utiliser dans une volonté farouche de ne jamais rien révéler d'eux à leurs ennemis. Toutefois, l'échange de quelques trivialités avec un semblable leur mettait toujours du baume au cœur, comme un pansement de fortune sur leurs blessures à vif, une minuscule étincelle dans l'abîme de noirceur qui les engloutissait davantage chaque jour.

La porte du laboratoire s'ouvrit sur un technicien. L'homme à casquette n'avait pas oublié le repas des cobayes – ce qui arrivait parfois. Il s'approcha de Sept en premier, retira le couvercle d'une boîte de conserve, puis tendit celle-ci à proximité des barreaux. L'affamé avança une main griffue pour s'emparer de sa misérable pitance. « Terrine de poulet – Médor adore » indiquait l'étiquette par-dessus la photo d'un animal au pelage bicolore. Après avoir expérimenté diverses formes de nourriture sur leurs cobayes, les humains avaient retenu l'option des pâtées pour animaux domestiques, pour son rapport qualité-prix imbattable. Ce n'était pas idéal ni bien fameux comme repas, mais ça avait maintenu une partie des prisonniers en vie jusque-là.

Sept s'adossa contre le fond de sa cage et commença à manger avec les doigts. Il surveillait du coin de l'œil le technicien qui se dirigeait maintenant vers le malheureux Trois. L'intensité de l'éclairage avait été réduite au minimum ; il y voyait net, même si ça restait toujours trop clair à son goût. Depuis le temps qu'il était soumis avec une régularité quotidienne aux lampes agressives des humains, ses yeux s'y étaient accoutumés un tant soit peu.

Le technicien osa une main imprudente entre les barreaux pour déposer la boîte de conserve à côté du captif inconscient ; exactement comme prévu. Trois se redressa en démontrant une vivacité surprenante, retenant l'humain par le bras et l'attirant avec force contre les barreaux. Avant que la victime dupée ait le temps de comprendre son erreur, un scalpel effilé trouva son chemin jusqu'à la carotide. Le sang gicla sur les mains et le visage de l'agresseur, inondant l'arrière-gorge de l'humain dont le cri se noyait dans un gargouillis poisseux. Quelques secondes étirées dans ce moment suspendu suffirent à affaiblir et étourdir le technicien. Trois laissa sa victime s'effondrer à terre dès qu'il eut récupéré les clés fixées à sa ceinture.

Spectateur passif, Sept s'était rapproché de ses barreaux. En cinq ans, c'était la première fois qu'une telle opportunité se présentait. Numéro 2 avait bien tenté de prendre la fuite, un jour où on l'avait détaché pour le soumettre à un scanner, mais il avait à peine fait vingt mètres qu'une balle dans le dos l'avait fauché. Peut-être que les derniers survivants de cet enfer médical allaient mourir aujourd'hui, mais d'une manière ou d'une autre, leur cauchemar allait prendre fin.

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