22 - Meilleurs ennemis

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Luc tournait comme un lion en cage. Il estimait l'absence de sa codétenue à au moins deux heures maintenant ; il était terrorisé à l'idée que leur geôlier ait pu lui faire du mal. Quand il avait trouvé la chambre vide après sa retraite dans la salle de bain, un vertige nauséeux l'avait saisi aux tripes. Il avait réalisé dans l'instant qu'il ne supporterait plus de revivre la solitude accablante des derniers mois.

Pourquoi Seth avait-il emmené Ellie ? L'image de la jeune femme seule face à cet inconnu, soumise à ses caprices, faisait frémir et enrager tout à la fois l'apprenti mécanicien. Une étincelle de rébellion s'éveilla en lui. Si on ne lui rendait pas son amie rapidement, il allait... il allait...

Sa motivation l'abandonna aussi vite qu'elle était arrivée. Il se laissa tomber sur le lit, mou comme un caramel au soleil, et se prit la tête entre les mains. Il n'allait rien faire du tout, comme d'habitude. Il n'était bon qu'à servir d'otage.

Si Ellie avait été là, elle lui aurait dit d'arrêter de se morfondre, elle lui aurait ordonné de manger une ration puis aurait demandé qu'il lui répète encore une fois ses leçons concernant les commandes du Stockholm. Avec elle à ses côtés, il n'aurait pas eu le temps de broyer du noir, il se sentait guidé et accompagné par une poigne solide. Elle lui manquait déjà cruellement.

Soudain, trois coups à la porte. Luc retint son souffle. Un résidu de colère court-circuita son réflexe conditionné de fuite vers la salle de bain ; il resta figé sur le bord du lit tandis que la porte s'ouvrait en coulissant avec une régularité mécanique. Son cœur battait si fort à ses tympans que son tambour couvrait tout autre son.

L'impressionnante silhouette qui se découpait dans l'embrasure restait immobile elle aussi. Plusieurs secondes d'un silence tendu s'éternisèrent.

— Ellie... parvint enfin à souffler le prisonnier après une lutte contre le cocktail d'adrénaline et de cortisol qui envahissait son cerveau.

— Libre, répondit Seth de sa voix grave quoiqu'hésitante.

Luc peina à traiter l'information. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Est-ce qu'elle s'était échappée et elle était libre quelque part sur le vaisseau ? Ou est-ce qu'elle était libre d'une manière plus métaphorique parce qu'il l'avait tuée ? Jetée dans le vide de l'espace peut-être ? Ce mot à interprétation variable pouvait signifier tout et son contraire, ça n'éclairait en rien le jeune homme.

— E-elle va bien ? bégaya-t-il, confus autant qu'intimidé.

— Elle va bien, répéta Seth.

C'était une réponse encourageante, à priori.

— Pour toi, ajouta l'étranger en jetant quelque chose sur le lit.

Luc sursauta quand l'objet heurta sa cuisse. Il le ramassa avec appréhension et reconnut le crépitement alléchant d'un paquet de chips. Depuis des semaines qu'il était enfermé là, il n'avait jamais eu droit à autre chose que des rations de survie. Qu'est-ce qui lui valait cette attention inexpliquée ? Est-ce qu'il la devait à l'intervention d'Ellie ? Les images de la jeune femme contrainte à s'avilir pour obtenir l'indulgence de leur geôlier revinrent frapper son esprit avec violence.

— Si vous lui avez fait le moindre mal... gronda-t-il sans oser aller au bout de sa menace.

— Mange, recommanda Seth, inflexible.

La porte coulissa à nouveau en position de verrouillage. Luc se sentait trembler d'indignation et d'effroi, la gorge serrée. Il éloigna sa main du paquet de chips ; il n'était pas sûr d'en vouloir tant qu'il n'en connaissait pas le prix. Quoiqu'Ellie ait dû accepter de subir pour obtenir cette faveur, c'était intolérable.

StockholmWhere stories live. Discover now