8 - Dessine-moi un mouton

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Aout 2204 Après l'Ère Commune


Cela faisait déjà trois mois que le Stockholm avait quitté la Terre. Le temps passait à la fois vite et lentement à bord du placide transporteur. Tous les jours se ressemblaient, à tel point qu'il était difficile d'estimer si un souvenir précis remontait à la semaine précédente ou bien à deux mois.

Ellie avait davantage de temps libre depuis que Luc avait repris sa place d'apprenti mécanicien auprès de son oncle. Elle en profitait pour renouer avec sa passion de jeunesse : le dessin. Elle n'avait qu'un crayon à papier gris à disposition, mais ça convenait parfaitement pour les images qui émanaient de son esprit. Tous ses croquis évoquaient une silhouette dissimulée dans l'ombre, et parfois un intense regard blanc perçant l'obscurité. Elle avait l'impression d'exorciser quelque chose en couchant ces images et les émotions qu'elles véhiculaient sur le papier. Elle passait un temps fou à les peaufiner et à les contempler comme si elles renfermaient un mystère à élucider, une information sur le fascinant quatrième passager qui lui aurait échappé jusque-là.

A son grand désarroi, la jeune femme n'avait pas progressé dans sa tentative de prise de contact avec l'étranger. Elle avait tenté de l'amadouer à plusieurs reprises en déposant de la nourriture à proximité de la grille d'aération, à l'endroit même où elle avait perçu sa présence pour la première fois – si l'on occultait leur rencontre initiale dans la soute – mais elle n'avait pas eu l'occasion de déceler sa proximité à nouveau. Pourtant, il semblait apprécier les offrandes d'Ellie car celles-ci disparaissaient toujours rapidement. Peut-être était-il juste timide. Il restait encore près de sept mois pour l'amener à baisser davantage sa garde.

Aujourd'hui, la jeune femme avait déposé une boîte de rillettes et quelques biscottes au pied de la grille d'aération habituelle. Elle n'avait pas la moindre idée de ce que pouvaient être les préférences de son ami presque imaginaire et variait la nature de ses cadeaux autant que possible. Au début, elle lui avait même laissé une épaisse couverture et une brosse à dents ; elle se demandait dans quelles conditions il vivait, dissimulé entre les parois du vaisseau, et s'il manquait de beaucoup de choses.

Mais peut-être qu'elle projetait trop de ses fantasmes sur la vie solitaire de cet être dont elle ne connaissait rien en réalité. Il fallait avoir l'honnêteté d'admettre que le quatrième passager ne ressemblait probablement pas du tout à ce qu'elle se plaisait à croire. La distraction que ces rêveries lui procuraient était malgré tout plaisante.

Ellie jeta un dernier coup d'œil par-dessus son épaule avant de tourner à l'angle du couloir. Cette fois, elle n'avait pas le temps de perdre une heure à guetter monsieur Discrétion ; cette technique n'avait jamais porté ses fruits de toute manière, il attendait toujours que sa bienfaitrice ne soit plus dans les parages pour venir récupérer son présent.

La jeune femme pressa le pas en direction de la soute numéro 26 – la bergerie, comme ils en étaient venus à l'appeler – car Luc l'y attendait pour nettoyer et remplacer la paille souillée. Quand les portes de la soute coulissèrent, freinées par l'usure de leur mécanisme, l'apprenti était déjà dans le crottin jusqu'au cou, et pas aussi métaphoriquement qu'il l'aurait souhaité.

— Qu'est-ce qu'il reste à faire ? demanda Ellie en se gardant bien de proposer son assistance au ramassage des déjections.

— Oh génial, t'es là ! Il faut que je te montre quelque chose ! s'enthousiasma Luc.

Il attrapa un torchon posé sur la poignée d'une brouette et s'essuya le visage et les bras avant de s'avancer au milieu du troupeau massé dans un coin de la pièce. Plusieurs moutons s'écartèrent en bêlant lorsqu'Ellie rejoignit son camarade.

StockholmDär berättelser lever. Upptäck nu