19 - Souffler le chaud et le froid

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Seth frappa du poing le fauteuil à ses côtés. Il se serait bien volontiers défoulé sur l'écran à l'origine de son irritation, mais démolir son seul moyen d'accéder au programme de pilotage automatique n'aurait pas été très malin. Il avait cessé de compter les échecs ; tous les jours, c'était la même rengaine. Le jeune humain n'avait pas menti en disant que c'était bien au-delà des compétences d'un simple apprenti.

Si seulement il avait réussi à attraper le plus âgé, il aurait bien fini par l'obliger à lui donner ce qu'il voulait. Mais maintenant que cet enragé avait pris possession de la salle des machines et se retranchait derrière des lumières aveuglantes, ça allait être compliqué de lui mettre le grappin dessus.

En tout cas, les talents du mécanicien se confirmaient ; il avait réussi à alimenter son éclairage à l'aide d'un circuit alternatif isolé du reste du vaisseau. Seth n'avait aucun moyen de contrer cette bravade à distance.

Rien ne fonctionnait comme il le souhaitait à bord de ce satané engin. Sa frustration avait atteint son paroxysme. En plus, il se retrouvait maintenant avec deux prisonniers à surveiller et à entretenir. L'idée de les éliminer l'effleura, mais le jeune pouvait encore servir de moyen de pression pour obliger l'oncle à se tenir à carreaux. La femelle en revanche... il pressentait qu'elle n'était qu'une source d'ennui.

Ça ne lui plaisait d'ailleurs pas beaucoup d'avoir dû enfermer ces deux-là ensemble. Séparer les membres d'un groupe, c'était une règle de base. A plusieurs, ils gardaient le moral plus longtemps et on risquait de voir naître une forme d'émulation pouvant mener à de stupides idées de rébellion. L'humaine était bien du genre à entraîner son camarade soumis dans des plans insensés.

Seth jeta un œil à la cabine de pilotage autour de lui. Il y avait quelque chose de changé, une sensation qu'il n'arrivait pas à définir. Pris d'un doute, il pianota sur le clavier. C'était bien ça, le taux d'oxygène était remonté.

Fichu humain ! Ce mécanicien était une épine qui s'enfonçait toujours plus profondément dans son pied. Seth se leva en renversant le fauteuil et partit dans le couloir. Il avait besoin de calmer son estomac qui criait famine pour apaiser en même temps son esprit.

Après deux virages, il arriva devant la soute numéro 3. Un code à sept chiffres plus tard, la porte s'ouvrit sur une petite salle encombrée de cartons. Au fond, sur une table que Seth avait installée là lui-même, gisait la carcasse à demi dévorée d'un mouton. Une mare de sang se répandait au sol.

L'affamé réagit avec violence à cette vision et renversa une étagère pleine de cartons. Il rugit de colère, son cri résonna loin dans les coursives ; sa nourriture n'aurait pas dû ressembler à ça, la viande était gâtée. Il faisait bien trop chaud dans cette salle qu'il avait transformée lui-même en congélateur. Inutile de demander qui avait encore joué avec les systèmes du vaisseau et remonté la température de sa chambre froide. Cet humain voulait mourir...


⭐⭐⭐


Beuark. Il n'y avait rien à y faire, les rations de survie étaient toujours aussi infâmes, le joli petit logo représentant un triangle ailé n'y changeait rien. Même l'estomac vide à s'en donner des crampes, même en pensant très fort à un savoureux gigot, même quand on venait de se cogner l'orteil à un pied de meuble et qu'on avait la tête ailleurs : manger cette mixture restait un calvaire, une corvée à laquelle on s'astreignait quotidiennement pour ne pas dépérir. Quand on pensait aux malheureux colons à qui étaient destinées ces rations, on se demandait si c'était pour les aider ou les achever.

StockholmWhere stories live. Discover now