32 - Bon appétit

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Le sang maculait la table, Ellie avait enfin terminé sa besogne laborieuse. A sa droite, un seau avait recueilli plusieurs litres du liquide poisseux ; si elle était bonne cuisinière, elle songea qu'elle aurait peut-être pu en faire du boudin, mais ce n'était pas le cas. A sa gauche, plusieurs bacs contenaient les pièces de viande tout juste débitées. L'apprentie bouchère n'avait pas tué la bête la plus charnue, de peur de sélectionner une brebis gestante par accident. Avec cette quantité, Seth tiendrait probablement à peine un mois. Ensuite, elle n'aurait plus qu'à réitérer l'opération.

Frigorifiée, la jeune femme attrapa le morceau d'épaule qu'elle avait réservé dans un saladier piqué en cuisine. Environ trois kilos de viande devraient faire l'affaire pour au moins deux jours ; ensuite, elle lui ramènerait une autre pièce stockée dans cette salle transformée en chambre froide. Qu'on ne dise pas qu'elle ne faisait aucun effort pour bien traiter son prisonnier.

Après avoir verrouillé la porte derrière elle, elle prit la direction de la chambre réaffectée en cellule, passant devant la cabine de pilotage sans y prêter un regard. Elle frappa les trois coups rituels puis pénétra dans l'antre sombre de Seth. Sans surprise, le petit tas de ration trônait toujours au même endroit à côté de l'entrée. La visiteuse le poussa du pied vers le couloir pour faire place nette, puis elle approcha de la salle de bain.

— Je t'ai apporté à manger, informa-t-elle.

Il y eut un silence hésitant de quelques secondes avant que la porte ne commence à coulisser, offrant une ouverture timide. Ellie inséra la main dans l'interstice et agrandit encore le passage pour y faire passer son saladier lourd de viande. L'ombre de Seth se devinait à peine près de l'encadrement, ramassée au plus près du mur. Il tendit une main prudente pour saisir la nourriture. Après avoir reniflé le présent, méfiant, il s'assit dos à la cloison pour commencer à manger. Ellie l'imita, s'adossant en miroir avec son prisonnier ; seule une fine paroi de métal les séparait.

— Tu te régales ? interrogea la jeune femme après plusieurs minutes à n'entendre que des bruits de mastication.

— Merci, répondit Seth entre deux bouchées savoureuses.

— Mange pas tout d'un coup, ça pourrait te rendre malade après une semaine de jeun. Et t'as intérêt à me faire durer ça au moins deux jours, j'irai pas tuer des moutons tous les quatre matins pour toi.

— Oui, acquiesça-t-il, toujours aussi avare de mots.

— J'espère que tu te rends compte de la faveur que je te fais. Luc et moi, on n'a plus que ces saletés de rations pour survivre.

Le gourmet favorisé n'émit pas de commentaire, se contentant de déguster son repas avec moins de bruit et de frénésie qu'au début. Pris d'une forme de remords, il arracha un morceau de chair crue et le tendit à travers l'ouverture de la porte.

— T'es sérieux ? pouffa Ellie.

Si la mise à mort de ce premier mouton n'avait pas été si éprouvante, elle aurait peut-être envisagé d'en tuer un deuxième, dans la foulée, pour se nourrir elle aussi. Cela dit, la cuisson d'un gigot aurait été encore plus difficile à dissimuler à Luc que ses agissements pour nourrir Seth en cachette ; le jeune apprenti aurait désapprouvé tout ceci sans discussion possible.

La main téméraire qui s'était approchée d'Ellie, un bout de viande piqué entre les griffes, était celle qui arborait le chiffre 7 au niveau du poignet. Cette vision ranima sa curiosité et elle agrippa le bras de Seth dans un geste brusque et impulsif. Dans le même temps, elle avait activé la lampe de poche qu'elle gardait toujours auprès d'elle quand elle rendait visite au captif, une assurance-sécurité en quelque sorte. La main pâle, qui avait d'abord cherché à se retirer, se figea dès que le faisceau de lumière éclaircit l'ambiance de la chambre ; la menace lumineuse était explicite.

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