1 - Kourou (1/2)

276 47 199
                                    

Mai 2204 Après l'Ère Commune


Le port de Kourou pouvait se targuer d'être l'un des plus grands marchés du continent sud-américain, peut-être bien de la planète. C'était le point de ralliement de tous les grossistes à des centaines de kilomètres à la ronde. Les professionnels venaient pour y faire de bonnes affaires, évidemment ; mais surtout pour se procurer des biens d'exception qu'ils pourraient ensuite revendre à prix d'or. Ici, entre les cargaisons de bananes et de pulls en alpaga, on pouvait acheter des trésors en provenance de l'autre bout de la galaxie. Plusieurs fois par mois, des cargos déchargeaient leurs soutes sur le marché après avoir voyagé parfois pendant de longs mois dans l'espace vide et sans chaleur qui séparait la Terre de ses nombreuses colonies.

Le précieux chargement pouvait contenir – entre autres – des graines endémiques de leur exoplanète d'origine, ou bien encore divers objets du quotidien fabriqués de manière artisanale par quelque colon lointain et dont les prix explosaient une fois arrivés sur Terre, simplement parce qu'on pouvait les estampiller de l'enviable logo alien – bien que seuls les revendeurs profitent de cette plus-value fulgurante, cela va de soi.

Toutefois, ce qui attisait le plus la convoitise n'était autre que les différents minerais bruts dans lesquels on pouvait tailler, par exemple, des bijoux dont la valeur frôlait l'indécence. On ramenait notamment de la planète Onaga une variété d'or à la teinte cuivrée, que l'on nommait de façon plus commune l'or des étoiles, et qui rendait fous les bijoutiers et les milliardaires du monde entier.

Cependant, Kourou n'était pas qu'un port réservé aux professionnels et aux fortunés. L'immense majorité du marché était accessible à tout un chacun, que ce soit pour y faire ses courses quotidiennes ou y trouver des produits plus rares ; on y croisait même des touristes venus prendre des photos et déambuler avec nonchalance entre les allées bondées. Toute la région bénéficiait des retombées économiques de cette zone commerciale gigantesque, presque une vraie petite cité tentaculaire qui, année après année, grignotait du terrain sur la jungle environnante et se rapprochait de la véritable ville non loin.

Ellie San Lucar ne se trouvait pas là pour le tourisme. La jeune femme cherchait à rejoindre un endroit bien précis mais elle s'était perdue dans l'immensité de ce marché labyrinthique. Agacée, elle déplia une nouvelle fois sa carte griffonnée à la hâte et la retourna à plusieurs reprises entre ses mains pour essayer de comprendre dans quel sens les indications lui paraissaient plus pertinentes. Finalement, elle fit une concession à sa fierté et s'avoua vaincue. Si elle voulait arriver à temps au rendez-vous qu'on lui avait fixé, elle n'avait pas d'autre choix que de demander de l'aide à quelqu'un.

La bonhomie d'un marchand de chapeaux faits main lui inspira confiance et elle lui tendit son plan approximatif sans douter qu'il saurait la guider efficacement. Le vieil homme mit quelque temps à décrypter le schéma grossier et partiellement erroné mais il connaissait le marché comme sa poche – pour y avoir travaillé toute sa vie – et comprit rapidement où la demoiselle égarée souhaitait se rendre. Il se sentit toutefois obligé de la mettre en garde car le secteur indiqué sur ce plan souffrait d'une mauvaise réputation et était déconseillé à ceux qui n'avaient rien à y faire ; il se sentirait coupable s'il arrivait malheur à cette charmante jeune femme.

Ellie remercia le marchand pour ses indications claires et précises ainsi que pour son avertissement – même si elle n'avait aucune intention d'en tenir compte. Elle savait où elle mettait les pieds ; enfin, à peu près. Face à la sollicitude subtilement intéressée du vieil homme, elle décida de lui acheter un chapeau dont elle n'avait absolument pas besoin avant de partir. Ellie posa un panama blanc sur ses cheveux noirs coupés en un carré court et s'éloigna dans la foule compacte.

StockholmWhere stories live. Discover now