7 - A bout de souffle

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Dans les jours qui suivirent, Ellie prit peu à peu ses marques sur le Stockholm. Elle accompagnait Falco dans sa tournée d'inspection quotidienne et l'aidait à transporter le matériel sans montrer le moindre signe de faiblesse ou de mauvaise volonté, même quand il alourdissait exprès la charge pour la tester. Le mécanicien se montra finalement moins acariâtre qu'elle ne l'avait préjugé. Toutefois, elle n'avait pas encore eu l'occasion d'expérimenter une réelle divergence d'opinion avec lui, ce qui arriverait pourtant tôt ou tard.

Après avoir consacré sa matinée au rafistolage des systèmes datés du vaisseau, Ellie poursuivait la liste de ses corvées sans assistance. On lui avait confié l'entière responsabilité du troupeau de moutons qui était parqué dans la soute numéro 26. La salle, d'une cinquantaine de mètres carré, avait été reconvertie en étable futuriste avec ses parois en métal parcourues de tuyaux divers et sa paille étalée au sol.

Tous les jours, l'incongrue fermière de l'espace venait nourrir ses bêtes, renouveler l'eau de leur écuelle et nettoyer le crottin qui s'amoncelait par terre à une vitesse folle. C'était une occupation physique mais pas déplaisante, d'autant qu'elle appréciait la tranquillité de cette activité solitaire. Ellie se demandait de combien de têtes serait composé le cheptel à leur arrivée sur Chimaera, elle nota intérieurement qu'elle devrait s'informer sur la durée de gestation chez les moutons.

De son côté, Luc se remit rapidement de sa blessure à la cheville et seule une toux rare mais persistante témoignait encore de sa mésaventure. Il avait décidé de prendre en charge la préparation de tous les repas au moins jusqu'à ce que son oncle l'autorise à reprendre les tournées d'inspection avec lui. Il effectuait aussi un ménage sommaire mais régulier dans les parties communes de leurs quartiers, cherchant visiblement à éviter de faire peser toute charge supplémentaire sur les épaules d'Ellie.

Ce soir, le jeune homme avait fait sauter sa dernière poêlée de légumes frais pour accompagner une épaisse entrecôte bien suffisante pour les rassasier tous les trois. A partir de maintenant, tous leurs repas seraient préparés avec des ingrédients surgelés ou lyophilisés. Quand on s'embarquait pour un voyage de plusieurs mois dans l'espace, il fallait être prêt à faire quelques sacrifices gustatifs.

Autour de la table, chacun résuma en quelques mots sa journée. Finalement, en dehors de la tournée matinale que Falco effectuait en compagnie de sa nouvelle recrue, ils ne passaient pas beaucoup de temps ensemble. Peut-être que les personnes qui choisissaient, en toute conscience, de passer autant de temps isolées sur une coquille de noix au milieu du vide intersidéral possédaient toutes une part intrinsèque d'ermite en elles.

— T'as trop cuit les tomates, on dirait une purée toute filasse comme ça... rouspéta Falco en enfournant une grosse cuillère de légumes dans sa bouche, coudes écartés sur la table.

— C'était les dernières, elles étaient déjà trop mûres et toutes molles, se justifia le cuisinier amateur.

— Du coup t'as gâché nos dernières tomates, insista l'oncle, plus sur le ton de la conversation anodine que par réelle contrariété.

— S'cuse-moi... murmura Luc en baissant la tête dans son assiette, presque inaudible.

— On s'en fout bien des tomates, intervint Ellie en plantant énergiquement sa fourchette dans son morceau d'entrecôte. Tant qu'il reste de la viande et des gâteaux, et qu'on n'est pas obligés de manger ces infectes rations de survie !

— Te réjouis pas trop vite, la bouche supplémentaire, tempéra Falco avec cynisme. Quand nos réserves commenceront à fondre, tu seras la première qu'on rationnera.

StockholmWhere stories live. Discover now