19 - Souffler le chaud et le froid

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Ellie fit la grimace en tirant la langue et posa son repas à peine entamé sur le bord du lit où elle était assise. Aujourd'hui encore elle ne finirait pas sa part, c'était trop pénible. Luc suivait probablement son mauvais exemple. Assis en tailleur par terre, il refermait le bouchon de sa ration en forme de gourde avec un sourire gêné. Il avait l'air d'avoir maigri, pour autant qu'on puisse en juger dans cette pénombre omniprésente.

Il y avait une certaine ironie à l'idée de mourir de faim alors qu'il y avait dans la chambre un carton plein de rations. Même en prison on n'était pas aussi mal nourri. Les détenus qu'Ellie avaient eus sous sa garde pendant ses années de surveillante pénitentiaire menaient une vie de coq en pâte en comparaison. Eux au moins ils avaient droit à des repas variés, certes pas de la grande cuisine, mais à base de vrais ingrédients comestibles au moins, pas cette pâtée pour chat indigeste qu'on prétendait à haute valeur nutritive.

Par-dessus le marché, les détenus du centre pénitentiaire avaient droit à des activités diverses et des promenades en extérieur. Sur le Stockholm, avec le dieu du chaos en guise de maton, les quatre murs de leur chambre sans lumière étaient la seule chose que les prisonniers avaient vue depuis des jours. Ils se sentaient oubliés, abandonnés à leur sort misérable.

Ellie avait malgré tout pris ses marques. C'était rapidement devenu la chambre de la jeune femme plutôt que celle de son premier occupant. Luc avait insisté pour que sa camarade bénéficie du lit simple lors de sa première nuit – supposée, ils n'avaient ni montre ni horloge pour le confirmer – et elle ne s'était pas faite prier. Le lendemain, la question ne s'était même plus posée ; Luc avait continué à dormir par terre sans contester le nouvel ordre des choses et Ellie ne voyait pas pourquoi elle renoncerait à son confort si le jeune homme n'en exprimait pas le désir.

Luc était un codétenu plutôt agréable ; il rendait service à la demande, se taisait de la même manière et se montrait aussi discret que possible. Sa présence permanente dans l'ombre à ras du sol n'en était pas moins irritante et envahissante par moments, comme un chien un peu trop servile et collant. Mais il acceptait sans broncher la mauvaise humeur de sa camarade quand elle ressentait le besoin de lâcher du lest.

— C'est toi qui as utilisé toute l'eau chaude de la douche aujourd'hui ? accusa Ellie en devinant la mine interdite du jeune homme dans le noir.

— Non ! se défendit-il comme un enfant accusé à tort. C'était froid aussi quand j'ai voulu l'utiliser. Ça fait un moment que c'est comme ça, il y a peut-être une panne.

— Une panne... réfléchit-elle. Ou alors c'est encore un coup de Seth pour nous tourmenter, ça m'étonnerait pas de lui.

— Je sais pas... J'ai plutôt l'impression qu'il s'est calmé ces temps-ci. Je crois qu'il nous a remis l'oxygène à un taux confortable, on respire mieux en ce moment non ?

— Difficile à dire quand le maximum d'effort qu'on fait dans cette pièce c'est la traverser en quatre enjambées.

Ellie frissonna et passa une couverture sur ses épaules.

— Et y'a pas que l'eau, continua-t-elle. On se gèle de plus en plus ici, on va se retrouver dans un frigo si ça continue.

— C'est vrai qu'on a froid, reconnut Luc en frictionnant ses bras pour tenter de se réchauffer.

Prise d'un accès de colère soudain, la jeune femme se redressa et se dirigea vers la porte pour y tambouriner avec énergie tout en invectivant leur geôlier.

— A quoi tu joues là ? Ça t'amuse de nous maltraiter ? On va crever là-dedans ! C'est ça que tu veux ? Si c'est ça, fais-le de tes propres mains au moins, pas comme un lâche !

— Ellie arrête, tu vas nous attirer des ennuis ! s'inquiéta Luc.

Elle ignora la complainte de son camarade et haussa encore la voix.

— Remets le chauffage ! Et l'eau chaude ! Et donne-nous de la vraie nourriture ! Tu m'entends, fumier ?

Sans réponse à son esclandre, la jeune femme finit par se calmer et reprit sa place sur le lit, au grand soulagement de Luc. Elle avait l'impression d'être un cobaye dans une expérience cruelle ; elle détestait ça. Elle avait fouillé sa cage de fond en comble mais n'avait trouvé aucune échappatoire. Cette situation la rendait irritable et c'était le plus souvent Luc qui en faisait les frais.

— Apprends-moi ce que tu sais, ordonna-t-elle après une courte réflexion.

— Ce que je sais ?

— Le Stockholm, les portes, l'oxygène, la température, énuméra-t-elle. Je veux savoir comment faire fonctionner tout ce fourbi. Je veux être opérationnelle à la première occasion que j'aurai de sortir d'ici.

Luc se plia à sa demande. C'était un défi de lui transmettre ses connaissances sans support visuel, sans pouvoir illustrer les manœuvres par des exemples et sans que son élève puisse s'entraîner en situation réelle ; il doutait que cette connaissance théorique lui serve un jour mais elle était plus motivée que jamais. De toute façon, ils n'avaient pas grand-chose d'autre à faire dans leur isolation forcée, toute distraction était la bienvenue.


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