Après une heure d'errance infructueuse, la jeune femme finit par admettre le début d'un frémissement de nervosité sous la surface de son assurance imperturbable. On ne disparaissait pas aussi facilement à bord d'un vaisseau perdu au milieu de l'immensité de l'espace. Luc n'avait ni le talent ni la motivation du quatrième passager pour leur jouer ce numéro.

— Merde merde merde !

Cette éructation furibarde provenait d'une pièce au bout du couloir. C'était la grosse voix râpeuse de Falco.

Ellie se hâte de le rejoindre pour découvrir la raison de son emportement. L'homme se trouvait dans une salle de surveillance secondaire, assis devant une console informatique qu'il essayait visiblement de faire fonctionner à grand renfort de coups de poing et d'insultes plus inventives les unes que les autres.

— Bordel de cul d'IA à la mords-moi-le-nœud ! Sa grand-mère la reine des p... !

— Falco ! l'interrompit Ellie, soucieuse bien que légèrement amusée par cet étalage de vulgarités.

— J'ai plus le contrôle de l'IA du Stockholm, ce p'tit merdeux a changé les codes !

— Quoi ? Qui ça ? Je comprends pas...

Dans un mouvement de rage irascible, l'homme envoya valser tout le matériel qui traînait sur et à proximité de la console.

— Y'a que Luc et moi qui connaissons les codes à bord, expliqua-t-il en postillonnant plus que de raison. Je sais pas ce qui lui a pris, au gamin, mais il va pas s'en tirer sans au moins quelques beignes en travers de la gueule.

Sur ces mots, Falco bouscula Ellie qui gênait son passage et vida les lieux dans une tornade d'injures plus virulentes et excentriques les unes que les autres. La jeune femme ne tarda pas à l'imiter – les injures en moins – et repartit à l'assaut des couloirs mal éclairés.

Elle n'aimait pas la tournure que prenaient les évènements. Luc était un trop gentil garçon pour oser s'emparer des commandes du vaisseau de cette façon, et il n'avait rien à y gagner par-dessus le marché. En revanche, elle ne connaissait rien des intentions de celui qu'elle soupçonnait de se cacher derrière la manœuvre, et elle commençait à trouver leur partie de cache-cache vraiment très irritante.

— Montre-toi ! cria-t-elle en tambourinant contre les parois d'acier. J'en ai assez de ce petit jeu, viens me parler en face, trouillard !

Elle répéta son appel plusieurs fois avec pour seul effet d'attiser sa colère à chaque fois davantage.

— Si t'as fait le moindre mal à Luc, tu vas me le payer j'te préviens ! menaça-t-elle encore en tournant à l'angle d'un couloir plus sombre que les autres.

Soudain, une main puissante se plaqua sur la bouche de la jeune femme et l'attira en arrière pour l'immobiliser. Elle sentait des ongles pointus s'enfoncer dans la chair de sa joue et le corps de son assaillant pressé dans son dos. Il la retenait avec une force contre laquelle elle ne pouvait pas lutter, malgré tous les gestes d'auto-défense qu'elle avait appris dans sa carrière de surveillante pénitentiaire. Elle comprit d'instinct qu'il était inutile de gaspiller son énergie et elle renonça à se débattre pour se concentrer sur l'idée de guetter une faille dans la prise solide de l'ennemi.

L'inconnu resta très calme lui aussi. La proie percevait les battements sereins du cœur de son prédateur contre ses omoplates. Du coin de l'œil, elle discernait une marque partielle sur le poignet qui lui bloquait la mâchoire ; ça ressemblait à un symbole discret, mais elle n'en comprenait la nature exacte.

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