Chapitre 18

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[The world is just another name for despair.]

La première scène me montre Namjoon vers l'âge de dix ans, un sac à dos sur les épaules, se faire racketter par trois ados juste en bas de son immeuble. Il se laisse faire, les yeux remplis de terreur tandis qu'un des garçons appuie fermement sur son épaule et qu'un autre lui fouille les poches. Les ados lui prennent quelques bonbons, des billes, ainsi qu'un petit appareil mp3 offert par son père. Lorsque Namjoon voit le mp3 passer dans les mains de ses agresseurs, il tente de protester mais celui qui le maintenait jusque-là, le fait tomber sur le sol poussiéreux avant de lui donner un coup de pied dans les côtes. Ils rient tous les trois en se tapant dans la main puis se mettent à courir alors qu'un vieil homme les chasse, aidant mon ami à se relever.

Je serre les poings, en colère et un nouveau souvenir apparaît. Namjoon a le même âge je pense, il arpente les rues semblant chercher quelque chose ou quelqu'un, se retournant parfois pour vérifier que personne n'est derrière lui. Une école se dessine alors au loin et mon frère prend une grande respiration tout en serrant les bretelles de son sac. Son visage change soudain d'expression, passant de la peur à la détermination. Je le vois serrer les poings et s'approcher d'un jeune à l'entrée de l'école que je reconnais comme étant l'un des agresseurs. Ce dernier a des écouteurs dans les oreilles et l'appareil sur lequel il écoute de la musique n'est autre que le mp3 de Namjoon. La rage envahit mon ami lorsqu'il s'en aperçoit, ce qui fait sourire le jeune qui semble apprécier de le voir dans cet état.

— Hey petit, pas mal les chansons ! le hèle ce dernier avec un sourire moqueur. T'as bon goût !

Le plus petit vient se poster devant lui, dents et poings serrés. D'abord surpris, le plus vieux sort les mains de ses poches, l'appareil toujours dans une main et regarde Namjoon de toute sa hauteur.

— Dégage si tu veux pas que je te mette une branlée, morveux.

Mais alors que Namjoon aurait dû laisser tomber et simplement faire demi-tour, il fait une chose que je n'avais pas vue venir et qui surprend son ennemi autant que moi. Un coup de pied puissant et bien placé, un coup de coude au visage et voilà l'ado roulé en boule sur le sol, un enfant de dix ans au-dessus de lui, le visage dur et n'affichant aucune once de pitié. Il arrache les écouteurs des oreilles du plus vieux, puis récupère son mp3, non sans avoir dû marcher sur la main de ce dernier pour le lui reprendre de force. Puis Namjoon sourit et croise les bras.

— Mon père m'a appris à répondre à des idiots dans ton genre. La prochaine fois, je te casse le bras. Tu es prévenu.

Il passe les barrières de l'école la tête haute, certains élèves se moquant ouvertement de l'ado toujours avachi au sol. Je souris, fier de mon ami. Jusqu'à ce que j'aie un aperçu de la vie qu'il mène au sein de sa famille et que ma concentration revienne en même temps.

Cette fois, Namjoon est plus grand. Quatorze, quinze ans ? à peu près. Je lui compte un grand frère, une grande sœur et deux petites. Sa mère paraît épuisée et son père, allongé dans un lit, malade. La maison est petite et vétuste. Namjoon partage sa chambre avec tous ses frères et sœurs et tout le monde aide avec les tâches ménagères. Lorsque mon ami rentre chez lui, son père l'interpelle d'une voix faible.

— Appa, souffle le jeune en entrant dans la chambre et en voyant son père tenter de se redresser dans son lit en toussant. Tu dois rester allongé.

Il le pousse à se réinstaller comme il faut puis prend une chaise pour s'installer près de lui et entendre ce qu'il a à lui dire.

— Comment s'est passé le boulot ? demande le père en prenant la main de son fils.

— Passionnant, répond Namjoon sarcastique. Je commence à me demander si le monde n'est pas peuplé que de connards arrogants qui en ont que pour l'argent.

Son père rit avant de tousser pendant quelques secondes sous les yeux inquiets de son fils. Lorsqu'il se calme enfin, après avoir bu une gorgée d'eau, il déclare :

— N'utilise pas ce mot devant ta mère, elle pourrait croire que c'est toi qui les apprends à tes sœurs.

— Elles les apprennent à l'école appa. Il suffit de sortir cinq minutes en bas de l'immeuble et ça fuse dans tous les sens.

L'homme hoche la tête et la tourne vers la fenêtre. Lorsqu'il regarde à nouveau son fils quelques secondes plus tard, c'est avec des yeux brillants d'émotions.

— J'aurais aimé vous offrir tellement mieux..., commence-t-il d'une voix brisée.

— Appa...

— Non Namjoon, ta mère et vous, vous méritiez autre chose. Mais cette maladie nous a tout pris. Tu aurais dû poursuivre l'école sérieusement, tu es tellement intelligent et doué pour ça. Mais tu travailles pour aider ta mère, tu t'occupes de tes frères et sœurs, de moi. Je suis fier de toi mon fils, mais je veux qu'à ma mort...

— Non, proteste Namjoon.

Mais son père agrippe son bras plus fermement, l'obligeant à l'écouter.

— Quand je ne serais plus là, je veux que tu partes d'ici. Pars et construis-toi une vie qui te rend heureux. Il n'est jamais trop tard pour poursuivre ses rêves.

Je vois mon frère baisser la tête, le visage rempli de larmes. J'aimerais pouvoir lui éviter de vivre ces événements mais c'est trop tard, il les a déjà vécus. Je ne peux absolument rien faire.

— Mais maman ? Et les jumelles ? demande-t-il en relevant la tête vers son père.

— Ta mère s'est toujours très bien débrouillée, elle saura s'occuper de tes sœurs comme elle l'a fait pour vous les garçons. Mais toi, Namjoon, il est temps de penser à ton avenir, il est temps que ce cerveau de génie soit utilisé pour autre chose que faire des pleins d'essence. Cette famille sera toujours un boulet pour toi si tu restes là.

Namjoon finit par hocher la tête et se laisse attirer dans les bras de son géniteur, attristé par cette discussion et le sens qu'elle a pour les deux hommes.

Une nouvelle scène et je vois Namjoon attendre devant un arrêt de bus, un sac sur une épaule, l'air triste et pensif. Je comprends qu'il est parti, plus tôt que prévu, sans en connaître la cause. Lorsque le bus arrive enfin, mon ami hésite, regarde derrière lui puis porte son regard sur le mp3 qu'il serre avec tendresse. La seconde d'après, il monte et s'installe près d'une fenêtre, une nouvelle vie s'offrant à lui. Ce départ est triste et je n'ai aucune idée de comment mon ami s'en sortira seul, mais quelque chose me dit que je ne tarderais pas à le savoir.

AwakeWhere stories live. Discover now