Chapitre 11

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[ I'm still the same me. The me from before is still here. but the lie that's gotten too big is trying to swallow me up.]


Je sors enfin de mon état lamentable lorsque Young-Soo fait irruption dans la chambre pour me déposer les médicaments que je dois prendre. J'ouvre les yeux, me redresse en vitesse malgré mon épaule endolorie, puis essuie mes larmes en espérant qu'il n'aura rien remarqué ou bien qu'il ne me posera aucune question. Malheureusement ses sourcils se froncent, signe qu'il n'est pas si dupe que je l'aurais voulu. Il dépose les (trop nombreux) cachets sur ma table de chevet puis s'installe au bout du lit, croisant les mains sur ses genoux.

— Tu sais, je travaille ici depuis un bon moment déjà. Je ne suis pas comme mes collègues. Tu peux me parler de tout ce qui te perturbe, je ne te jugerais pas.

Je me mords la lèvre et baisse la tête. N'est-ce pas ce que Yoongi m'a recommandé de faire ? Je respire un grand coup non seulement pour faire passer l'étau qui enserre ma gorge depuis que je me suis effondré à mon réveil mais aussi pour me donner du courage. Mon regard se pose sur la fleur ne contenant plus que cinq pétales puis sur la sixième, pratiquement fanée, posée à l'écart. Je sens mes yeux s'embuer de larmes à cette vision mais je me refuse à les laisser couler devant l'homme.

— Ton épaule va mieux ? me demande Young-Soo comme s'il se doutait que j'aurais du mal à lui faire totalement confiance pour me livrer aussi facilement.

Je hoche la tête en regardant ma blessure recouverte d'un pansement et de mon t-shirt à manches longues. Je ne sais pas combien de temps j'ai été inconscient ni quand j'ai été soigné mais cela m'importe peu. Surtout après ce à quoi j'ai assisté dans mes rêves.

— Est-ce que je peux te demander quelque chose ? m'interroge l'homme avec un sourire sympathique.

Je réponds à l'affirmative et attend sa question avec curiosité.

— Pourquoi avoir tant voulu être près de la fenêtre ? Les deux tiers du temps, lorsque j'entre dans ta chambre, je te trouve assis devant mais les rideaux sont toujours fermés.

La voilà, la question que j'attendais. Je ne pouvais pas passer à côté. Mais alors que je m'étais préparé à mentir, je ressens soudainement l'envie d'être sincère avec lui. Alors je regarde la fenêtre et réfléchis.

— Je crois que j'ai peur, dis-je en le pensant réellement.

— Peur de quoi ? demande Young-Soo visiblement surpris par ma réponse.

Je hausse les épaules en prenant le temps de penser à cette sensation que j'ai et aux mots que je pourrais mettre dessus. Je ne sais pas si mon explication sera parfaitement claire pour lui mais je tente tout de même :

— J'ai peur de découvrir ce qu'il y a derrière. J'ai l'impression que...que je ne dois pas les ouvrir tout de suite. Comme si c'était ma porte de sortie et en même temps celle qui pourrait me mener vers l'enfer. (Je vois la mine de l'homme changer et passer à la peur mais je me dépêche de le rassurer.) Oh je...je ne parle pas de suicide. De toute manière, avec les barreaux, je ne pourrais rien tenter même si je le voulais.

Il acquiesce, approuvant mes paroles. Mais son inquiétude est toujours présente, je le vois à la manière dont il me regarde.

— Honnêtement, je ne pense pas que tu aies ta place ici, Seokjin. Tu as beau avoir un comportement parfois étrange, tu me sembles néanmoins lucide et conscient de tout ce que tu fais. Je me trompe ?

— Non, je réponds aussitôt ravi qu'enfin quelqu'un me comprenne dans cet établissement.

Je profite de cette discussion et de ce sentiment de confiance mutuelle qui s'installe peu à peu pour lui confier :

— Je crois que j'avais six amis et que je les ai perdus. Je ne me souviens de rien. Ni de comment je les ai connus, ni de pourquoi ils ne font plus partie de ma vie mais mes souvenirs reviennent sous forme de rêves ou d'hallucinations. Parfois je ne les comprends pas, je pense qu'elles ont une signification et qu'un jour je les comprendrais mais pour l'instant je ne contrôle rien. Tout ce que je sais c'est que je veux les retrouver. Je le dois.

Young-Soo n'a pas bronché. Il m'écoute avec attention, sans jugement, je ne m'étais donc pas trompé sur son compte et Yoongi non plus.

— Donc je suppose que tu ne te souviens plus non plus de ce qui a créé ce black-out ?

Je secoue la tête à la négative et il pose ses doigts sur son menton tout en réfléchissant.

— Et ces rêves, ils parlent de quoi ? Tu peux m'en dire plus ?

— Eh bien, commencé-je en me passant toutes les images en revue et notamment les dernières. Au départ c'était joyeux. Je rêvais simplement que j'étais avec eux et qu'on riait. Puis les hallucinations sont apparues et j'avais du mal à savoir ce qui était réel et ce qui ne l'était pas. Ensuite, tout a basculé. Des petits détails troublants ont commencé à apparaître dans mes rêves mais depuis que je suis ici c'est encore pire. Tout a dérapé dès mon arrivée dans cet hôpital. Il y a d'un côté les hallucinations étranges puis les hallucinations que je qualifierais de "normales" puisque je discute tranquillement avec mes amis mais le pire ce sont mes rêves.

— Pourquoi ça ? m'encourage l'homme alors que ma gorge se serre.

Je baisse les yeux, les posent sur la fleur puis dis dans un souffle :

— Il leur arrive des choses horribles et j'ai peur d'en être responsable.

Cette fois je sens une larme rouler sur mes joues, puis une deuxième, une troisième tandis que la culpabilité m'envahit. Je suis tellement perdu avec tout ça. J'en apprends de plus en plus sur chacun de mes amis et en même temps ça me terrifie. Pourquoi les choses ne pouvaient pas rester comme elles étaient ? Pourquoi ai-je maintenant peur de m'endormir ? Pourquoi, surtout, ai-je l'impression que tout ce qui leur arrive est de ma faute ?

— Ta sœur ne semble pas connaître ces six personnes, me dit tout à coup l'homme. Elle est persuadée que tu les as inventées. Pourquoi pense-t-elle cela à ton avis ?

— Je n'ai pas dû les lui présenter.

— Et tu ne les aurais jamais cités non plus ?

Cette fois je fixe mon regard dans celui de l'homme ayant la nette impression qu'il ne me croit plus. Pourtant il a toujours cette expression neutre et compatissante. Aurait-il été envoyé par mon médecin ? Joue-t-il la comédie afin que je me confie à lui ? Je me lève en serrant les poings, me sentant tout à coup trahie.

— J'aurais dû m'en douter, je souffle, déçu et en colère.

Young-Soo se lève à son tour et lève les mains en signe d'apaisement.

— Seokjin, j'essaie juste de comprendre la situation en rassemblant les puzzles. Je pense que cette question est légitime et elle ne remet en aucun cas en cause tout ce que tu viens de me dire.

— Laissez-moi, je lâche en reculant. S'il vous plaît.

Il soupire puis accède à ma demande, se dirigeant lentement vers la porte.

— Je suis désolé. N'hésites pas si tu as encore besoin de parler, je serais là.

Puis il quitte la pièce, me laissant seul, triste et tiraillé par une question qui me fait totalement perdre le peu de stabilité qui s'était installée dans mon esprit : mes amis sont-ils vraiment réels où suis-je en train de tout imaginer ? Je prends le carnet rouge et l'ouvre sur la seule page qui contient quelque chose. Je ne reconnais pas l'écriture comme étant la mienne et comprend bien vite en lisant les premiers mots que c'est celle de Jimin et qu'un pan de son histoire est là, entre mes mains. Ce n'était jamais arrivé avant.

Fébrile, je m'assois par terre, contre le lit et commence à lire.

AwakeWhere stories live. Discover now