CHAPITRE VINGT-ET-UN

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Rien ne s'arrange

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Si le silence ne s'entend pas, le crissement des chaussures de la personne qui me suit depuis plusieurs minutes, lui, déchire mes tympans.

Sitôt que Scarlett a disparu de mon champ visuel, j'ai pris la direction du centre de San Francisco. J'aurais pu monter directement dans un bus pour rentrer à Berkeley puisqu'à côté du tribunal, ce ne sont pas les correspondances qui manquent. Mais je ne l'ai pas fait car si je rentre tout de suite alors que personne ne sera là à l'appartement, je vais ruminer mes pensées et sombrer dans le cercle vicieux de la déprime et de l'auto-accusation. Dans mes pensées, je suis l'unique fautive, je ne peux me blâmer que moi-même. Bien que ce ne soit pas nécessairement la vérité, c'est ce que mon cerveau ne cesse de me répéter en boucle, comme une douce et déchirante mélopée.

Les pensées sont parfois pires que du poison. Elles s'immiscent en toi sans que tu en aies conscience et plus leur venin se propage dans tes membres, plus elles te font douter. Elle t'amènent à te sermonner, elles détruisent le peu de confiance que tu peux avoir en toi. Oui, les pensées sont nocives et venimeuses.

Alors, pour éviter d'écouter les petites voix qui crient dans ma tête, j'ai préféré marcher dans San Francisco, à l'aveugle, allant là où mes pieds me mèneraient. Pour l'instant je ne peux pas affirmer que ce soit une grande réussite. Certes, je ne suis pas seule parce que les rues sont animées, mais j'ai l'impression d'être comme une étrangère au monde de ces inconnus. Nous marchons côte à côte, nous nous croisons, nous nous saluons, mais nous sommes tous seuls dans notre propre bulle, indépendante de celle des autres. C'est parmi la foule que mon sentiment de solitude atteint son acmé. Oui, c'est entourée que je me rends compte plus que jamais que je suis seule. Seule avec mes problèmes, seule avec mes combats intérieurs, seule avec les voix dans ma tête.

Ces voix qui ne cessent de me hurler ma culpabilité. C'est moi qui ai livré des pistes et des débuts d'informations aux parents de Carter, c'est moi qui n'ai pas su défendre mes grands-parents, c'est moi qui n'ai rien cherché à faire pour les aider. Au fond, si je m'étais un peu plus impliquée dans l'affaire au lieu de jouer à la petite fille égoïste, j'aurais peut-être pu alléger leur peine.

Peut-être que ce n'est pas trop tard. Peut-être que les cartes ne sont pas encore toutes jouées. Aujourd'hui, l'attaque a posé son as, carte la plus puissante du jeu normal. Mais moi j'ai un joker dans ma manche. Un joker démoniaque que j'aurais préféré ne pas avoir à utiliser. Comme me l'a si bien rappelé Andrew, on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie, parfois il faut se décider à affronter les épreuves que l'on redoute. Parfois, on n'en sort que plus fort.

Mon joker à moi porte le nom de Jayden. Et pour le sortir, il suffit que je compose son numéro de téléphone dont les chiffres ont beau s'être effacés de ma peau, ils restent inscrits au marqueur indélébile dans mon esprit. Mon traître d'esprit qui ne trouve rien de mieux que de mémoriser ce qui pourrait causer ma chute.

Le rôle que peut jouer Jayden dans le procès de mes grands-parents m'apparaît comme une épiphanie, une blafarde lueur d'espoir parmi l'obscurité du doute dans lequel je me perds. Je peux encore explorer la piste de la drogue qu'il a sous-entendue mais que je n'ai pas prise au sérieux la première fois par manque d'informations. Aujourd'hui je me rends compte qu'il sait des choses cruciales qui pourraient faire basculer les choses en la faveur de ma famille.

Cette réalisation s'accompagne d'une autre prise de conscience : celle des bruits de la ville tout autour de moi. Les klaxons à répétition sont si forts qu'ils font vibrer ma cage thoracique, les conversations extérieures qui résonnent dans ma tête embrouillent mes pensées et les lumières qui s'allument dans les boutiques ou sur la voie publique m'aveuglent. C'est aussi à cet instant précis que je me rends compte que quelqu'un marche derrière moi. Je suis inconsciemment consciente que ça a probablement déjà été le cas depuis un sacré bout de temps, peut-être même depuis que j'ai quitté le tribunal.

DES NUITS PLUS CLAIRES QUE TOUS VOS JOURS [IS HE A BAD BOY ?]Where stories live. Discover now