CHAPITRE DOUZE

5.4K 344 35
                                    


1 2

État d'ivresse

______________________________________


La dernière fois que nous l'avons fait, le trajet pour se rendre en ville ne m'a pas paru aussi long. Ce soir il semble interminable. C'est certainement à cause de l'état d'esprit dans lequel je suis : je n'ai jamais été aussi mal de ma vie. En attendant que Carter revienne avec les autres, je me suis assise en tailleur dans l'herbe, n'ayant pas la force de me relever. J'ai empêché les larmes qui brûlaient mes yeux de couler en me répétant que je devais être forte et que je ne devais pas montrer ma faiblesse à mes amis : ça ne ferait que rendre les choses plus difficiles.

Dès qu'elle m'a aperçue par terre, le regard terne et vide, Apolline s'est précipitée sur moi pour me prendre dans ses bras. Je mentirais si je disais que ça ne m'a pas fait plaisir. C'est dans les moments difficiles que l'on se rend compte de nos vrais amis et Apolline m'a prouvé qu'elle fait partie de ceux-là. Rosalyn s'est contentée d'un sourire encourageant pour ne pas m'étouffer et me laisser le temps de digérer les révélations. Moi qui ai toujours été plus solitaire qu'extravertie, je suis contente d'avoir des personnes avec qui partager de bons moments et par la même occasion oublier mes problèmes. Je commence même à apprécier Jérémy. Ou du moins, à m'habituer à son comportement agressif.

- T'es sûre que tu veux aller en ville ? s'enquiert Apolline en se détachant de moi quand notre étreinte est devenue un peu trop longue.

N'étant pas certaine de l'état de ma voix à cause des sanglots que je viens de verser, je me contente de hocher la tête en signe d'approbation.

- Tu serais peut-être mieux dans ta chambre, intervient Cédric. Tu n'as pas l'air d'aller bien.

- Merci pour cette observation Cédric, réplique Carter du tac au tac avec agacement. Tu croyais vraiment qu'elle allait sourire et faire comme si de rien n'était ? Elle vient d'apprendre qu'elle a été adoptée putain !

Je ne sais pas comment je suis censée interpréter les paroles de Carter. D'un côté, je lui suis redevable de prendre ma défense et d'expliquer à ma place que je ne vais pas bien, ça m'évite de le faire et de mentir. Mais d'un autre côté, je ne comprends pas pourquoi il le fait et ça m'énerve un peu qu'il fasse comme s'il connaissait le vide que je ressens en moi, comme s'il me comprenait, alors qu'il n'en a probablement pas la moindre idée.

- Bon, on y va ? nous demande poliment Rosalyn pour rompre le silence qui s'est installé après les paroles de Carter. Plus tôt on y sera et plus tôt on s'amusera.

Et plus tôt je serai loin de cette fête et de ces révélations, mieux je me sentirai. Les autres me lancent un regard interrogateur pour voir si je suis toujours partante et cette fois-ci, je toussote avant de répondre :

- Rosa a raison, partons d'ici au plus vite s'il vous plaît.

Depuis cette phrase qui a résonné dans l'air plus comme une supplication qu'autre chose, je suis restée silencieuse, comme si j'étais subitement devenue muette. C'est l'effet que ça me fait en tout cas. Je ne pleure plus, je me le suis interdit. Et mes yeux sont si secs que je ne crois pas que même en essayant, j'arriverais à faire couler la moindre larme. A quoi bon de toute façon ? Ma vie n'est qu'un stupide mensonge. Seize ans pendant lesquels on m'a menti. Seize années que j'ai l'impression que ma famille m'a volées. Le pire c'est que je ne suis plus en colère, ni triste. J'ai réussi à ravaler mes émotions pour n'être plus qu'une coquille vide. J'ignore combien de temps je vais réussir à rester déconnectée, mais pour le moment ça m'arrange bien car je sais que je vais finir par m'effondrer comme tout à l'heure avec Carter. Et quand ça arrivera, je préfère être seule, pas entourée de tout mon groupe d'amis qui ont de la pitié pour moi. Avec un petit peu de chance, cette sortie à San Francisco va me changer les idées et me faire du bien, c'est tout ce que je demande.

DES NUITS PLUS CLAIRES QUE TOUS VOS JOURS [IS HE A BAD BOY ?]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant