Edilyn (Chapitre 186)

353 67 9
                                    

Les dernières gouttes de pluie tapent sur la vitre d'un lent mouvement régulier. Je ne peux pas bouger.

Il me semble que chacun de mes muscles est bloqué, que je ne peux détourner mon regard de la petite danseuse sur la cheminée. S'il n'y avait Iguen, assis dans un fauteuil derrière moi, trempé, je pourrai rester ainsi figée pour l'éternité.

Je ne me retourne pas mais demande lentement en articulant chaque syllabe :

-C'était tellement horrible ?

-Je suis un mercenaire majesté. Un prince cadet dont on ne parle même plus dans son pays... Je n'ai pas de cœur. Je suis blindé. Mais jamais je ne pourrai recommencer ça... Ni oublier ce dernier cri que j'ai entendu...

Je me retourne alors lentement vers lui. Nos yeux se croisent tandis que mes doigts se serrent sur le serpent-bijoux de mon bras gauche.

-Quel dernier cri ?

-Celui d'Azylis Astra majesté...

Je m'assois dans un des fauteuil à suspenseur. Je ne me sens pas capable de réfléchir. L'après midi commence tout juste, et le soleil semble vouloir effacer les dernières traces du drame que j'ai créé en partie.

-Comment as-tu pu l'entendre ? Tu l'as vue sans tirer ?

-Non majesté.

Sa voix est atone et il me semble que quelque chose s'est brisé au fond de ses yeux. Il poursuit, sans me regarder.

-Elle était reliée aux hauts-parleurs... En réalité, ils avaient tout extrêmement bien organisé. S'il n'y avait pas eu cet orage et les gardes noirs...

Il laisse sa phrase en suspend et je ne prend pas la peine de relever. Si je souhaite éviter de ressentir la souffrance... je ne dois pas penser. Ne pas me concentrer sur ce qui s'est passé ce matin. Pourtant, je ne résiste pas à l'envie de demander plus de détails.

-Un dernier cri ? Tu m'as dit qu'on n'entendait plus rien à cause de l'orage ?

-Mais celui-là était plus fort que tous les autres. Je crois qu'elle même n'était pas consciente du fait qu'elle pouvait crier aussi fort.

Je me lève de mon siège, posant les mains sur mon ventre, dans ce geste qui devient une habitude. Je veux sauver le trône. Ne pas offrir des cendres à mes enfants ou un pays en ruines. Je ne veux plus penser à Gabriel. Plus jamais. Quitte à tout détruire.

-Sans votre intervention, je n'aurai rien pu faire et ils prenaient le palais...

D'une voix d'outre-tombe Iguen rétorque avec violence :

-Eh bien cela aurait peut-être été mieux.

Je me retourne d'un bond vers lui et je devine que mes yeux lancent un éclair. Il ne recule pas et affronte mon regard. Je cesse de le regarder en face et me tourne de nouveau vers la danseuse.

-Quel était le dernier cri d'Azylis que tu as entendu ?

-Le nom de sa fille. Ysaïne.

Quelque chose se fige alors en moi. Sa fille... Ma nièce.

-Pourquoi ? Pourquoi aurait-elle crié cela ?

-Cela me semble évident. D'une façon que je ne comprends pas, elle a appris qu'Ysaïne était dans la foule.

Je m'immobilise. Ma carapace d'indifférence que je me suis fabriquée avec beaucoup d'efforts se fendille. Une larme roule sur ma joue. Puis une deuxième et une autre...

-Non... Non. Je ne voulais rien de tout ça...

Il me semble que je supplie des yeux la danseuse. Iguen murmure derrière moi après s'être remis debout :

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now