Marguerite (Chapitre 9)

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A ff_livres

-Vous me connaissez ?...

-Bien sûr ! Enfin, uniquement de nom... A propos de nom, vous rappelez vous du mien ?

Je retiens un geste d'agacement et fait non de la tête avant de compléter à voix haute.

-J'étais évanouie... Je ne vous ai pas entendu le dire.

-Eh bien, cela explique que vous n'ayez pas réagit. Je m'appelle Tugdual d'Alcy...

-Tugdual ! Tu es le frère d'Azylis ?...

La surprise me coupe le souffle et je passe sans y faire attention du vouvoiement au tutoiement. Il acquiesce lentement de la tête et poursuit d'une voix un peu étrange, en devenant un peu pâle au fur et à mesure qu'il prend la parole.

-Et toi tu es la fille qui vient du futur...

-Je ne suis pas la seule ! Gabriel aussi...

J'ignore pour quelle mystérieuse raison j'ai soudain tant tenu à presque me justifier. Cela n'a pas de sens... Mais Tugdual me jette un nouveau regard, comme s'il n'en revenait toujours pas.

-Certes, mais lui n'a jamais cherché à se cacher ou à disparaître. Toi, on ne t'a jamais vue... Et tu es pourtant entrée dans la légende familiale par les récits de Gabriel...

Je ne peux m'empêcher de rougir terriblement et pince les lèvres pour cacher ma gêne soudaine.

-Il... Il exagère toujours trop !

-Ça dépend du point de vue je pense. Je n'ai jamais monté de dragon par exemple... Encore moins en combat ! Et je n'ai jamais libéré un prisonnier...

-Tu l'aurai sûrement fait à ma place ! Les événements font les hommes et...

-Et les époques. Je sais que je n'aurai jamais fait tout ce que tu as accompli dans la mienne.

-Serais tu jaloux ?

-Non, simplement désireux de comprendre, d'apprendre à connaître les siècles prochains... Toi, c'est un peu comme si tu venais de plonger dans un poussiéreux manuel d'histoire. Tu t'y retrouves ?

-Pas encore.

Nous gardons un instant le silence, tentant chacun de notre côté de mettre de l'ordre dans nos pensées. Je murmure pour moi-même une simple phrase :

-De toute façon, je n'ai plus le temps de faire des découvertes...

Loin d'avoir la réaction à laquelle je m'attendais, la pitié, Tugdual réagit presque avec une certaine brusquerie.

-Ah non ? Et combien de temps te reste t-il ?

Je repense aux paroles du médecin et ferme un instant les yeux.

-Cent jours. Trois mois.

-Alors arrête de te plaindre. Il y a des gens qui vont mourir aujourd'hui, d'autres demain. Des enfants, des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, et ils n'auront pas vécu le quart de ta vie aventureuse ! De quoi te plains-tu ?

Jamais personne ne m'avait parlé ainsi depuis l'annonce de ma maladie. Là, Tugdual ne sous-entend qu'une chose : que je suis une affreuse égoïste.

Et l'espace d'un instant, son discours me fige de surprise et me coupe toute possibilité de réponse. Jusqu'à ce que ma colère n'explose de nouveau, de façon une fois de plus totalement imprévisible.

-Et toi ! Et vous tous autour de moi ! Y a-t-il une justice ? Certains d'entre vous ont encore un demi-siècle au compteur ! Et moi ? Cents jours ! Ou est-elle ta justice ?

-La vie n'est pas juste ! Mais je peux au moins te dire une chose. Personne, pas même toi, ne peut prédire le jour et l'heure exacte du départ d'une personne. Je pourrai mourir demain. Et tu aurais alors plus de chance que moi. Quand donc en prendras tu conscience ? Quand il serra trop tard ?

Je tente de me redresser sur mes oreillers pour le foudroyer du regard, ne trouvant pas de réponse. Les mots se bousculent sur mes lèvres sans que je parvienne à les mettre en ordre cohérent et mes larmes de colère m'empêche de voir correctement et mettent un brouillard devant mes yeux.

Tugdual paraît alors se calmer et il se lève de sa chaise pour faire quelques pas dans le silence. Je me redresse alors du plus que je peux et lui lance :

-Et toi, qu'est ce que tu ferais à ma place ?

Nos yeux se croisent et il s'arrête soudainement de marcher avant de revenir vers moi et de tirer la chaise à lui. Il s'y laisse tomber et un léger sourire lui monte aux lèvres. J'espérais l'embarrasser, mais il semble que je me sois complètement trompée.

-Enfin une question intelligente... As tu un rêve à réaliser ? Quelque chose qui te tienne vraiment à cœur ?

J'envisage un instant de lui répondre par une remarque ironique mais je comprends rapidement qu'il attend autre chose de moi. Avant que je ne puisse réfléchir, la porte de ma chambre s'ouvre de nouveau et mon infirmière entre sans façon, un plateau dans les mains et un sourire sur la figure.

-Je suis certaine que je vous ai affreusement manqué...

Tugdual se retourne et éclate joyeusement de rire, d'une manière franche que je ne peux m'empêcher d'apprécier.

-Oh oui, bien sûr, mais je vous avouerai que c'est surtout le chocolat qui nous a fait défaut !

-Oh ! Oser dire une chose pareille ! Pour la peine, vous n'en aurez pas monsieur...

-Appelez moi donc Tugdual...

-C'est un prénom...

Il la coupe avec un sourire un peu narquois.

-Breton si vous voulez tout savoir. Original si vous tenez vraiment à faire un commentaire...

-Vous alors, vous avez vraiment réponse à tout... Mais attention, moi aussi je sais avancer les aiguille d'une horloge... Pour vous mettre plus vite dehors !

-Oh, je suis certain que vous ne feriez jamais une chose pareille... Tenez, je sers le chocolat ?

-Si vous proposez de faire le service ma foi... Mais attention à ne rien salir...!

-Où vous me tirez les oreilles, c'est cela ?

-Tout à fait. Et allez y, qu'est ce que vous attendez ? C'est déjà en train de refroidir !

J'écoute distraitement ce dialogue avec un léger sourire au me lèvres. Mais la question de Tugdual me tourne toujours dans l'esprit. J'en connais déjà la réponse... Mais je ne suis pas certaine de vouloir en parler.

Je sens alors plus que je ne vois Tugdual me tendre une tasse remplie du liquide chaud. Je la prends en remerciant d'un hochement de tête et tout le monde se rassoit, Tanya au bord de mon lit et Tugdual sur la chaise.

Celui-ci rompt alors le silence qui s'était installé entre nous pour se tourner vers moi et demander :

-Alors ? Quelle est ta passion ?...

Vais je révéler à un jeune homme que je connais à peine ce dont je n'ai jamais vraiment parlé à personne ? Je ferme les yeux avant de brusquement les rouvrir. Ma réponse tombe dans le silence.

-L'équitation. Ma passion c'est l'équitation.

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant