Azylis (Chapitre 147)

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Quelques heures plus tard, au petit château de Gabriel.

Je suis agenouillée sur le sol du salon, les bras serrés autour de mes genoux ramenés contre moi. La tête baissée, les lèvres serrées, je tente de ne plus penser à mes visions de cauchemar.

-Christian... qu'est-ce-que c'est un paradoxe temporel ?

Je vois l'inquiétude apparaître dans ses yeux. Il est le seul être vivant dans la pièce en plus de moi.

-Azylis... C'est dangereux ! On ne peut pas retourner dans un moment où on a déjà vécu. C'est impossible... Les savants n'ont jamais su expliquer ce phénomène mais on sait que ceux qui le tente, on ne les revoie jamais... Les machines se dérèglent. Ils meurent ou se retrouvent dans une époque très éloignée. Ce n'est pas ce que Gabriel aurait voulu.

Pourquoi est-ce-que depuis que je suis rentrée ici tout le monde me répète inlassablement ces derniers mots ? Je sais bien que ce n'est pas ce que Gabriel aurait voulu...

Mais je me sens si triste, si seule, si complètement abandonnée. Ysaïne... ma main plonge dans ma poche et en retire la petite médaille dorée. Je ne sais trop quoi en faire et me décide après quelques hésitations à la mettre autour de mon cou.

-Je ne la retrouverai jamais...

Le découragement m'envahit tandis que Christian demande d'une drôle de voix :

-Qui ça ?

-Ma fille. Ysaïne... Je n'ai jamais ressentit autant le besoin de sa présence.

En disant ces mots, je me rends immédiatement compte que c'est la parfaite vérité. Elle est aujourd'hui la seule à me donner une véritable raison de vivre. Mais Christian ne me laisse pas sombrer de nouveau dans la noirceur de mes pensées.

-Si, Azylis, on va la retrouver. Mais pas sans ton aide. Il faut que tu te secoue, que tu fasses quelque chose et...

Je relève la tête et nos yeux se croisent. Les miens sont froids, neutres, je pense toujours que c'est à cause de lui que Gabriel est mort. Mais la voix de Christian déraille quand il me regarde avant qu'il n'inspire et poursuive en détournant la tête :

-Je ne te l'ai pas dit mais il y a des gens dans la grande salle à manger. Avec Acalin. Mais c'est à toi qu'ils veulent parler...

Je resserre un peu plus mes bras autour de mes jambes et demande d'une voix de petite fille :

-Pourquoi ?

-Parce que tu es la seule maintenant à pouvoir diriger la résistance.

-Mais je m'en fiche de votre résistance ! C'est donc la seule chose qui t'intéresse ? Prendre quand même le pouvoir à Edilyn ? Mais il est mort et toi... toi...

Je ne trouve plus mes mots et il répond d'une voix d'outre tombe :

-Azylis... A ce propos... Il y a quelque chose que je voudrai te dire. Quand nous étions là-haut dans la tour...

Mais écouter le récit de la mort de Gabriel est au dessus de mes forces. D'une voix glacée, je lui jette un simple mot à la figure.

-Assez !

Après quelques secondes de silence, j'ajoute :

-Laisse-moi seule. Vas rejoindre les autres.

Il paraît hésiter mais je lis dans son regard que j'ai enfin réussis à l'atteindre. Je l'ai profondément blessé dans sa fierté. Le connaissant, je m'attends à le voir partir en claquant la porte mais il se mort violemment la lèvre inférieure avant de se calmer en apparence et de répondre d'un ton seulement un peu furibond :

-Je ne peux pas te laisser seule Azylis. Mais je peux t'envoyer Thaïs...

Mes yeux lancent un éclair de colère lorsque je redresse la tête.

-Vous me surveillez c'est ça ?

Il explose et la colère déforme ses traits pendant un court instant avant qu'il ne retrouve son emprise sur lui-même.

-ON ESSAIE DE T'AIDER FIGURES TOI ! On pense à ta fille, à...

Mais je ne me calme pas lorsqu'il baisse d'un ton. Je murmure d'une voix encore plus glacée qu'auparavant si c'est seulement possible :

-Oui. Vous pensez à moi bien sûr. Mais aussi à votre rébellion !

-Azylis, là tu dépasses les bornes...

-Alors va-t-en !

Mais il ne bouge pas et un silence pesant s'installe entre nous. Après un temps qui me paraît une éternité, je me décide à prendre la parole à contrecoeur plus calmement.

-Qu'est-ce-qu'il veulent tous ces gens en bas ?

Christian paraît extrêmement soulagé de mon changement de ton et il explique :

-C'est Acalin qui les a réunis. Ce sont tous des gens de forte influence qui étaient acquis à la cause de... de Gabriel. Ils veulent t'aider à retrouver Ysaïne, celle qu'ils considèrent comme leur princesse légitime et...

-Elle est leur princesse légitime.

Je lui lance un regard de nouveau noir. J'ai à peine tressailli en entendant le nom de Gabriel. Ça me paraît toujours aussi lointain, impossible... Et pourtant si horriblement réel.

Malgré moi, je sens pourtant une lueur dépourvue de joie s'allumer dans mon cœur. Ils peuvent m'aider à retrouver ma petite fille...

Je me relève lentement et vacille sur mes jambes. Un coup d'œil à Christian suffit à le décourager de m'aider.

-Je vais aller les voir. Mais je ne veux pas qu'ils parlent de révolte. La seule chose qui m'intéresse, c'est retrouver ma fille, tu comprends ça ?

Un éclair traverse brièvement le regard de Christian et pendant un très court instant, je me surprends à me demander ce qu'il pense et Pourquoi il supporte ma colère et ma tristesse. Qu'est-ce-qui l'a fait changer ?

Il détestait Gabriel et la monarchie. Alors ? En tout cas, je ne lui fais pas confiance. Ce sentiment clairement établi dans mon cœur, je me dirige d'une démarche que j'aimerai ferme mais qui ressemble à celle d'un alcoolique vers la porte et l'ouvre. Je traverse les couloirs déserts, descend les escaliers, sentant derrière moi l'ombre de Christian.

Ils ne pouvaient pas choisir quelqu'un d'autre pour "veiller" sur moi non... Je grimace fortement en m'approchant d'une double porte au bout d'un nouveau couloir.

J'hésite quelques secondes, sondant mon propre cœur pour m'assurer que je ne vais pas de nouveau éclater en sanglot une fois dans la pièce et me décide enfin à pousser la porte.

La première chose que je remarque en entrant, c'est le nombre de personnes présentes. Peut être une centaine réunie autour de la table. J'inspire très fortement en m'enfonçant mes ongles dans les paumes de mes mains.

Pour ma fille, je ne dois pas tourner les talons et courir me cacher dans un endroit désert pour pouvoir pleurer... Je dois vivre. Je tente d'afficher un sourire. Ce n'est qu'une grimace mais c'est déjà un début.

Je tiendrais pour Ysaïne. Mais uniquement pour elle.

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now