Thaïs (Chapitre 178)

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-Dernière répétition générale, je répète, dernière répétition...

Le cri des gigantesques hauts-parleurs se perd dans le brouhaha de la foule. Nous sommes des centaines, divisés en colonnes de dix à quinze, tous en uniforme noir, à attendre de monter dans le vaisseau pour une ultime répétition avant le jour J... celui de l'embarquement et du départ pour Sagan.

Devant moi, Aevin, silhouette rassurante au milieu de tous, et derrière moi, dans un uniforme trop grand, Kim, suivie de près par un Gaëtan un peu mère-poule... J'ai perdu de vue Eric qui ne fait malheureusement pas partie de notre unité et je ne peux m'empêcher de regarder de tous côtés dans l'espoir de le retrouver.

La salle immense est rythmée du bruit de mille allées et venues de centaine de milliers de pieds en bottes de cuir solides. Je pousse un léger soupir qu'Aevin entend pourtant car il se retourne vers moi pour me sourire.

-Ne t'inquiète pas Thaïs... Ce n'est que l'entraînement.

-Et le départ dans trois jours, tu te souviens ?

Aevin hausse les épaules.

-Ça fera une superbe expérience Thaïs... Vois le bon côté.

-J'ai du mal. Je croyais t'avoir déjà dit que pour moi une aventure devait se vivre au fond d'un fauteuil...

-... Avec un livre et une tasse de chocolat chaud. Comme tu vois, je suis un adorable mari et j'ai bonne mémoire.

J'abandonne l'idée de poursuivre cette intéressante conversation lorsque le chef de file se met en marche et qu'une partie de la foule se resserre pour nous libérer un passage.

Wagon cent-quarante-deux. Cela fait environ deux semaines qu'on nous le répète trois à quatre fois par jour. L'avantage c'est que je peux maintenant voir la porte dudit wagon coulisser pour s'ouvrir sans ressentir cette petite boule d'appréhension au fond de la gorge.

M'envoyer dans l'espace ! Moi ! J'espère toujours contre toute attente qu'Azylis trouvera une solution pour nous sauver... Et je ne doute pas qu'elle doit être en train de remuer ciel et terre. Mais que peut elle vraiment faire au juste ?

Des cris jaillissent des hauts parleurs mais je n'entends même plus ce qu'ils disent tant c'est étouffé dans le bruit de la foule. Aux répétitions précédentes, j'ai déjà remarqué la rare présence de quelques enfants, et la plupart du temps entourés de deux personnes, ce qui m'a conduite à penser que l'on a autorisé les parents ayant un seul enfant de l'emmener avec eux...

Pratiquement tous les gens que je vois ont été capturés à un moment ou à un autre pour avoir soutenu Gabriel. Et, quelque part, cela me remplit de fierté. Il était un superbe prince...

Et je commence également à comprendre le soulagement que doit représenter cette expédition pour Edilyn. Tout ce monde en prison... Nous sommes une bombe sur le point d'exploser et elle est en train de nous désamorcer...

Aevin se retourne vers moi et me fais signe d'avancer :

-Thaïs, essaie de rester concentrée pour une fois s'il te plaît... pas comme l'autre jour.

Un peu vexée, j'avance pourtant plus vite pour ne pas le perdre de vue. L'autre jour... J'ai réussi à me tromper de wagon et il s'en est ensuivi un beau capharnaüm... Comme quoi leur organisation tient à fort peu de chose.

Dans un bruit de métal, la porte de notre compartiment se stabilise et les premiers de ma file commencent à entrer. Je suis toujours Aevin et je sens bientôt sous mes pas le sol uniforme laisser place à celui du wagon. À l'intérieur, nous sommes priés de rejoindre nos places attitrées.

Et ce n'est pas franchement joyeux... Troisième ligne, case A. Ma distraction coutumière m'a conduite à un autre de ces fameux entraînement à la place C... Là aussi, fameux bazars. Depuis, les organisateurs m'ont à l'œil et me répètent jusqu'à dix fois les consignes. En plus d'Aevin, qui semble tenir à me retrouver en un seul morceau après ces foutus entraînements...

Aevin est le dernier de la rangée précédente et je le dépasse donc en lui adressant un léger sourire au passage.

Lorsque j'arrive devant le box qui m'ait désigné, j'inspire fortement avant de me décider à entrer. À peine suis-je à l'intérieur qu'une porte coulisse aussitôt pour m'emprisonner dans le minuscule espace.

L'endroit fait environ un mètre cinquante sur un mètre cinquante. Il ressemble un peu à une petite cabine avec un siège réglable (pas à la main mais automatiquement) et un écran de bord qui permet notamment de recevoir les informations (trente minutes de "promenades" dans les couloirs du wagon autorisées par journée !).

La semaine dernière, ils ont dû retirer du programme une jeune fille de mon âge parce qu'elle était claustrophobe. J'aurai bien joué la comédie, mais si Aevin, Eric, Gaëtan et Kim l'avaient faite aussi, cela aurait tout de suite paru moins crédible.

De tout ce voyage, ce qui risque d'être le plus difficile à vivre, cela va être la solitude et l'immobilité. Installée dans le siège et appuyée contre le dossier, j'observe avec une légère appréhension les sangles pour m'attacher et surtout l'aiguille métallique destinée à s'enfoncer dans mon poignet.

Ils ont déjà installé des capteurs dans mes bras pour pouvoir saisir pendant tout le voyage mon état global de santé, et cette aiguille se plantera automatiquement dans mes veines le jour du départ pour m'administrer à peu près toutes les douze heures un sérum me permettant de dormir. Il serra possible sur demande d'augmenter la durée de sommeil et de diminuer celle de la phase éveillée... Ce qui n'est pas pour déplaire à la moitié d'entre nous.

Les écrans diffuseront en continu des informations et devraient nous permettre d'apprendre ce qui nous manque pour "découvrir dans les meilleures conditions possibles Sagan...", d'après ce cher docteur Panem...

Pour le moment, sur le rectangle électronique, il n'y a qu'un décompte de chiffres rouges que je fixe pourtant avec intensité.

Encore deux longues minutes... Je pousse un énième soupir. Le décompte serra beaucoup plus long lorsque le véritable voyage aura commencé.

Je commence lentement à comprendre que j'ai peu de chance d'y échapper, voir aucune, et j'apprends à tenter de contrôler la peur panique qui m'envahit chaque fois que j'y pense.

Un voyage dans l'espace ? Jamais je n'en ai rêvé et j'ai toujours pris pour des fous ceux qui osaient formuler devant moi leurs rêves de grandeur... Je n'aspire qu'à rester en paix chez moi, ce que tout le monde sait fort bien.

À croire que les événements s'acharnent contre moi... Je plisse les yeux pour déchiffrer une petite phrase qui s'affiche sur l'écran.

"Calmez-vous, votre tension est en train de monter très rapidement... Je répète..."

Je ferme les yeux et les rouvre quelques secondes plus tard pour laisser échapper une petite exclamation de soulagement. Au lieu de la petite phrase, il n'y a plus sur l'écran qu'un chiffre rouge qui clignote "décompte à 0"...

La porte coulisse de nouveau à cet instant précis et je me rue dehors sans égards pour tous ceux qui sortent également de leurs cellules.

Mais ils commencent à avoir l'habitude. Kim et Gaëtan sont juste devant moi maintenant et nous échangeons un sourire. Le frère d'Aevin ne peut s'empêcher de me faire remarquer :

-Tu as vu ta tête Thaïs ? Je me demande de plus en plus comment tu feras pour tenir lors du véritable voyage et non plus lors d'une simulation...

Je secoue la tête en disant :

-J'espère que je m'en sortirai mieux que maintenant...

Mais je ne peux m'empêcher d'ajouter dans mon esprit : Azylis, si tu as une idée de génie pour nous sortir de là, c'est le moment où jamais d'agir...

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now