Thaïs (Chapitre 155)

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Quelques jours plus tard.

Alors que l'aéronef atterrit dans la nuit, je ne peux m'empêcher de repenser une fois de plus à ma curieuse discussion avec Azylis. J'ai été soulagée qu'elle ne me garde pas rancune d'avoir laissé échapper sa fille (ou en tout cas qu'elle ne le montre pas) d'autant que malgré nos nouvelles recherches, aucun de nous n'a réussi à la retrouver. Mais parler de John !

J'oublie tout le temps qu'elle n'a pas grandis avec nous... Et que les scandales et histoires qui ont marqué ma jeunesse, elle n'en connaît rien. Je tente de penser à autre chose et de me concentrer sur la situation présente sans vraiment y réussir. Je suis pour le moment avec Aevin dans notre aéronef. Kim nous accompagne et se serre contre moi, réprimant un petit frisson à la vue de la rue dans la nuit. Je tente de la rassurer en murmurant doucement :

-Ne t'inquiète pas Kim... Tu veux retrouver Gaëtan n'est-ce-pas ?

-O... Oui. Mais pourquoi on est obligé de l'attendre ici ?

Je jette un coup d'œil à Aevin qui se mord les lèvres. Comment expliquer à une enfant que Gaëtan est innocent selon nous mais poursuivi par la loi ou plutôt notre camp qui le considère comme un traitre ?

Aevin esquisse un sourire et se penche vers Kim.

-Ça te va si je te réponds que c'est un mystère ?

Elle le regarde avec de grands yeux avant de murmurer :

-Il est où le mystère ?

J'étouffe un léger éclat de rire et me pose confortablement contre le bord gauche de l'aéronef. Pour être sûrs de ne pas rater Gaëtan, nous sommes au rendez-vous une demi-heure en avance... Mais je n'oublie pas dans un coin de ma tête qu'il s'agit d'un adieu pour toujours. Gaëtan partira avec Kim, il nous l'a dit...

Je jette un nouveau petit coup d'œil à la petite fille qui rit avec mon mari. Je suis heureuse que Gaëtan ne parte pas seul. Kim sera en quelque sorte son dernier lien au passé...

Je repense alors une nouvelle fois à ma conversation avec Azylis. Ses questions sur John... Je ne lui ai pas dit toute la vérité. Il y a un secret qui ne m'appartient pas... La fin de l'histoire. Je ferme les yeux, revoyant la scène comme si c'était hier.

***
Des années plus tôt, avant le crime de Gabriel.

Je me promène dans les bois et pousse un énième lourd soupir. Lydie et moi ne nous entendons pas. J'ai l'impression qu'elle partage un secret avec nos parents dont je suis tenue à l'écart... Et il y a Éric, maintenant tellement malade...

Une larme, traîtresse, roule sur ma joue et je l'écarte d'un mouvement brusque. J'ai trop tendance à m'apitoyer sur mon sort. Je n'ai au fond aucune raison d'être si triste... enfin peut être que si au fond.

Je marche vite et m'éloigne des sentiers pour éviter de rencontrer d'autres promeneurs. Je veux être seule, absolument seule. J'ignore combien de temps je marche ainsi mais je m'enfonce dans la forêt de plusieurs kilomètres. Il faut dire que je suis une grande marcheuse, et que j'ai toujours beaucoup aimé les promenades en solitaires.

Mais lorsque j'arrive sur une grande allée sablée, je m'immobilise brusquement. La forêt appartenant à la ville est attenante à celle du palais. J'ai dû franchir un mur effondré sans m'en rendre compte. Nous savons tous que l'enceinte du parc n'est pas en bon état. Mais je m'en serais aperçue si ?

Vu ma rêverie, sans doute pas. Le silence autour de moi seulement troublé par le pépiement des oiseaux me laisse deviner que j'ai raison. Je viens de passer sans le vouloir du côté privé de la forêt...

Enfin, les gardes sont compréhensifs. Il ne me reste plus qu'à marcher en sens inverse... Je me rends également brusquement compte que je suis épuisée. Furieuse contre moi-même de mon inattention, je recule entre les arbres et m'assois un instant pour souffler. Aller, dans deux minutes au plus tard je me relève... Dix minutes après, je suis toujours assise et mes yeux se ferment malgré moi. Je pourrais peut être trouver un garde quelque part et lui demander si je peux faire venir un aéronef dans la forêt ? C'est normalement interdit, question de pollution, mais là...

Alors que je m'apprête à me relever, j'entends soudain des voix près de moi et tends instinctivement l'oreille.

-Allez John, on franchit l'arbre au bout de l'allée !

-Je te dis que c'est dangereux... Je ne veux pas le faire.

-Tu n'es plus aussi drôle depuis que tu as été enlevé...

Je me penche légèrement entre les arbres et aperçois à quelques mètres deux chevaux et leurs cavaliers qui s'approchent. Proche de m'endormir, je n'ai pas fait attention au bruit des sabots du reste étouffé par le sable de l'allée.

John ! Il me faut quelques minutes pour faire le lien avec la célèbre affaire qui a fait le tour des journaux mondiaux... Et la princesse. De loin, je ne remarque que ses cheveux sombres et son cheval entièrement blanc. Ils sont au pas et se rapprochent lentement de l'endroit où je suis assise sans pour autant m'avoir aperçue.

Un silence tendu règne désormais entre les deux jeunes gens, et, malgré moi, je ne peux m'empêcher de continuer d'écouter avec une curiosité grandissante.

-Edy, on peut s'arrêter deux minutes s'il te plaît ?

Ils stoppent leurs chevaux mais ne descendent pas de leurs montures.

-Qu'est-ce-qu'il y a John ?

Mais si Edilyn fait mine d'être agacée, sa voix tremble légèrement. Son cousin ne répond d'abord pas avant de se décider à reprendre la parole.

-Tu m'en veux d'avoir été plus célèbre que toi c'est ça ?

-Non ! C... Comment peux-tu penser ça ?

-Eh bien c'est juste que tu as une drôle d'attitude depuis que je suis rentré. Je n'ai pas voulu en parler Edy... Mais oui, j'ai peur de tout maintenant. Te rends-tu compte de ce que c'est que d'être attaché au fond d'une cabane où il fait froid, seul, en ayant une peur terrible que celui qui te retienne ne vienne te tuer ? Il me frappait quand il était en colère ! J'en ai encore des cicatrices... te rends-tu compte de l'enfer que j'ai vécu ? J'en suis enfin un peu sorti, des mois après ! Et toi, tu m'en veux d'avoir fait la une des journaux...

-Je t'ai déjà dit que c'était faux.

Un léger silence s'en suit avant qu'Edilyn ne reprenne la parole en mettant son cheval au trot.

-Tu as subit une épreuve... Soit. Mais c'est le destin des gens de sang royal.

-Je ne suis pas de sang royal.

-Ça se voit.

Et la princesse accélère tandis que John met lui aussi son cheval au galop pour la rejoindre. Lorsqu'ils passent en coup de vent devant moi, j'ai juste le temps d'entendre le jeune homme lancer :

-Non ! Edy ne sautes pas ! Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose...

Un bruit épouvantable de chute et de bois brisé résonne alors dans l'air. Et puis, un cri comme je n'en ai encore jamais entendu de ma vie.

-Noooooon !...

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now