Edilyn (Chapitre 103)

392 81 16
                                    

-Majesté, deux trains de marchandises ont sauté.

Je demande d'une voix neutre en levant les yeux vers mon visiteur :

-Des morts et des blessés ?

-Aucun majesté. Mais toutes les caisses de nourriture, de médicaments et d'autres denrées qui arrivent régulièrement à la capitale ont été perdues.

Assise derrière ma table de travail, je dévisage malgré moi le chef de ma garde noire. Je n'ai pas envie de lui avouer que j'ai lu son dossier comme il était persuadé que je le ferai. Mais je suis curieuse de connaître mieux ce prince étranger. Je m'agace contre moi-même et esquisse un geste de la main.

-Pour les caisses, aucune importance, il suffit de faire revenir un autre train. Ce n'est qu'une perte minime. C'est plutôt le geste qui m'exaspère. Ce défi à mon autorité.

Mais Thomas, alias Iguen, secoue la tête.

-Permettez-moi de ne pas être d'accord majesté. Les sociétés refusent déjà d'envoyer d'autres caisses si une police armée ne veille pas à la sécurité des wagons. Du coup, plus rien n'arrive actuellement en ville. Si cela ne dure qu'une semaine, nous pouvons qualifier cela de farce pour enfants... Mais si cela devait durer plus longtemps...

-Eh bien ?

-La ville n'est nullement équipée pour soutenir un siège.

Je sens là moutarde me monter au nez et murmure :

-Encore et toujours Gabriel...

-J'aurai peut-être une idée pour vous débarrasser du problème majesté.

-Tu veux dire... Le tuer ?

Je ne peux m'empêcher d'hésiter et de trembler légèrement en disant cela. Mais mon interlocuteur secoue la tête.

-Non. Je ne pensais pas à une solution aussi radicale. Pourquoi pas la prison tout simplement ? Mais cette fois ci une dont on ne peut pas s'enfuir... Vous souvenez-vous de Marguerite ?

Stupéfaite de l'idée qu'il propose, je murmure lentement ma conclusion.

-La punition binaire interstellaire...

-De là il ne pourra jamais s'échapper.

-Personnellement je préférerai mourir que de subir ça.

-Donnez-lui publiquement le choix.

Je tente de réfléchir de façon cohérente mais n'y parviens pas. Pendant des années, j'ai cherché à tuer Gabriel. Et maintenant, j'hésite. Et puis, il y a cette foule en colère que je ne maîtrise plus dans les rues de ma capitale... Je relève les yeux vers mon garde.

-Et quand voulez-vous que je l'arrête ? Lorsqu'il se présentera pour une autre manche des JO ? Mes policiers n'auront pas fait trois pas que la foule leur jettera tout ce qu'elle aura dans les mains sur la tête !

Mais un sourire illumine les traits de Thomas.

-Je ne suggère pas cela. Non, je suggère que nous tendions un traquenard... Le prochain train de marchandise... Cachons des policiers à l'intérieur. Ils auront comme ordre stricte de l'empêcher de faire sauter le wagon est de lui mettre les menottes aux poings. Ensuite, ils le feront descendre au milieu de la foule à l'arrivée dans la gare... Et même si les gens sont d'accord avec lui, ils reculeront devant les armes des policiers... Et contre le fait que c'est une arrestation tout ce qu'il y a de légale...

J'hésite encore. Discrètement, sans même le faire exprès, je pose la main sur mon ventre. Je m'empresse de corriger ce geste en déplaçant ma main et me décide à répondre.

-Mets en place le piège que tu viens de me décrire. Pour le reste, je verrai ça une fois qu'il sera entre mes mains.

L'homme s'incline et s'apprête à sortir de la pièce lorsque je le rappelle :

-Thomas ?

-Oui Altesse ?

-Tu es un prince ?

-Tiens, vous avez lu mon dossier... Oui, tout à fait. Mais le troisième de la famille, ce qui diminue quand même beaucoup mon mérite. Le prince Iguen, pour vous servir.

J'hésite quelques secondes puis lance tout en lui désignant la porte du doigt :

-Très bien. Je préfère de beaucoup ton nom d'origine. Je t'appellerai Iguen à partir d'aujourd'hui.

Il hausse les épaules et sors de la pièce. Deux minutes plus tard, je me lève de mon siège et sors à mon tour. Un garde m'accompagne dans les coupoirs, je salue d'un signe de tête les gens que je croise et m'arrête devant la porte d'un appartement proche du mien. Je toque contre le battant.

-Eric ?

-Vas-y, entre Edy !

Je laisse le garde devant la porte et entre à l'intérieur. Ce n'est pas une suite à proprement parler mais une chambre spacieuse avec salle de bain et petit bureau attenant. Eric est dans cette dernière pièce.

Je m'assois sur une chaise dans sa chambre et il ne tarde pas à me rejoindre. Il est parfaitement remit de sa rechute mais reste un peu pâle. Je sais parfaitement que c'est ma faute s'il est passé à deux doigts de retomber plus gravement malade. Eric s'assoit en tailleurs sur son lit et prend la parole :

-J'étudiais l'histoire d'Astra. La France et puis la troisième guerre mondiale...

J'acquiesce et termine sa phrase.

-Jusqu'à la venue de mon ancêtre. Tugdual Astra...

Eric hoche la tête avant de soudain dire :

-Edy... Je voulais vraiment te parler et c'est pour ça que je t'ai demandé de passer me voir ce matin dans la journée. J'essaie vraiment d'être un prince parfait... Mais à ne marchera jamais. Je ne suis pas comme vous et je n'ai pas les parents qu'il faut. Mais bon, peut-être qu'en faisant plus d'efforts...

J'hésite légèrement. Un léger silence plane quelques minutes entre nous avant que je demande d'une voix blanche :

-Ecoutes Eric... Si je te confiais un secret, tu le garderai ? Même si un jour tu devais me détester ?

Il hoche la tête avant de dire gravement :

-Je ne crois pas que je te détesterais. Je te dois la vie. Et, justement pour cette raison, je garderai tous tes secrets.

Je garde une nouvelle fois le silence avant de lentement me décider.

-Eh bien... Je suis enceinte.

Les yeux d'Eric s'ouvrent de surprise tandis qu'il demande :

-Depuis combien de temps maintenant ?

-Moins d'un mois.

Je lui cache qu'il s'agit de jumelles pour je ne sais quelle raison. Peut être un réflexe de prudence. Eric détache lentement ses mots en me regardant droit dans les yeux.

-Cette nouvelle change tout pour moi non ? Tu voudras que ton enfant prenne la suite. Je ne suis plus ton héritier et c'est pour ça que tu me dis ça n'est-ce-pas ?

Je ne veux pas jouer avec ses sentiments et le torturer. Je hoche la tête avant de me lever de ma chaise et de me diriger vers la porte.

-Tu restes un véritable ami Eric...

Il lève ses yeux sombres vers les miens. Pour la première fois de ma vie, je n'arrive pas à deviner ce qu'il pense.

-Ne t'inquiète pas Edy. C'est normal... Et je comprends. Je ne suis plus ton héritier.

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now