Edilyn (Chapitre 117)

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Je pousse le battant d'une main hésitante, sans vraiment réfléchir, et pénètre dans la petite pièce sombre aux murs bleus et aux rideaux tirés.

Je referme la porte derrière moi et demeure dans la pénombre quelques minutes avant que mes yeux ne s'acclimatent et commencent à distinguer divers objets.

La poussière recouvre tout. Cela fait bien au moins sept ans que personne n'est entré ici. Et Gabriel a brusquement quitté cette pièce il y a plus longtemps encore. Je ne peux m'empêcher de songer une nouvelle fois qu'il était le seul de la famille à ne pas posséder une suite mais une simple chambre avec petite salle de bain attenante.

Cette pensée amène un sourire légèrement hésitant sur mes lèvres. Je ne sais pas encore tout à fait ce que je fais ici.

Je m'assois lentement sur le lit couvert de poussière. Mes yeux observent chaque détail de cette chambre et je me surprends soudain à avoir le cœur serré. Je ne veux pas que le feu ravage cette pièce.

Cela fait des années que j'évite de passer devant le petit couloir qui mène ici. Parce que cette chambre évoque toujours en moi mes doutes les plus profonds et une amitié que je ne pourrai jamais détruire complètement pour mon frère.

Je pose alors mes yeux sur la table de chevet. Elle est encombrée de divers objets tous plus poussiéreux les uns que les autres. Mais un livre à la couverture vieillie attire mon attention. Je le prends et souffle délicatement pour en enlever la poussière. J'avance ensuite la main et allume la petite lampe de chevet. La lumière éclaire la page de garde lorsque je l'ouvre.

Il y a un petit mot écrit à l'encre.

"Pour mon prince préféré ! Edy."

Quel âge avais je ? C'est la seule pensée cohérente qui me vient à l'esprit. Je perds brusquement tous mes repères pour redevenir une jeune fille sensible et déroutée. Je sers le livre contre moi d'un geste dont je ne me rends même pas compte. Étrangement, je me mets à penser aux deux petites filles qui grandissent dans mon ventre. Je ne pourrai pas les cacher encore très longtemps.

J'agite alors mes pieds d'un geste machinal et me cogne très légèrement à une caissette rangée sous le lit. Gabriel était de toute évidence resté aux moyens de rangement totalement archaïque.

Je pose lentement le livre à côté de moi et me penche vers le sol. Je tire à moi une petite caisse de plastique et la remonte sur le lit pour finalement la poser à ma gauche. Après avoir enlevé le couvercle, je constate avec un sourire que rien n'est poussiéreux à l'intérieur. Mais c'est un véritable petit capharnaüm.

Je retire d'abord de la caisse quelques livres, du matériel de dessin, l'une des passions de mon frère si je me souviens bien, peinture, feutres numériques, crayons personnalisables qui changent de couleur à volonté...

Ma main trouve enfin un dernier objet, un petit carton au fond de la boîte. Je le prend et l'ouvre facilement car il n'est pas fermé. Une petite figurine tombe dans ma main. Une jolie petite danseuse qui tient debout sur un petit cercle lorsque je la pose sur la table de chevet.

J'effleure du bout des doigts le socle et la petite danseuse se met alors à tourner sur elle-même au son d'une jolie musique. C'est une danseuse a socle numérique. Qu'est-ce-qu'un jouet pareil faisait chez Gabriel ? J'avais plus de quinze ans au moins lorsqu'il s'est fait arrêté après l'assassinat de Sady. Mais je collectionnais des boîtes à musique.

Je reprends le carton ou je l'ai trouvé d'une main tremblante. Je distingue alors pour la première fois quelques mots tracés dans un angle.

"Pour Edilyn... Joyeux anniversaire p'tite sœur !"

Je tente de me souvenir de la date de son arrestation. Un mois avant mon anniversaire peut être ? Il avait déjà mon cadeau. Je prends alors brusquement conscience du temps que je viens de perdre ici et me ressaisis d'un coup. Le feu est aux portes du palais... Si je veux fuir, il serait temps que je réagisse.

J'hésite à prendre le livre puis finit par me décider pour la danseuse. Je la prends rapidement, me lève d'un bond et sors de la chambre en quelques secondes. Je ne sais pas exactement ce que je suis venue chercher ici.

Mais dans les couloirs, une mauvaise surprise m'attend. Une fumée épaisse se répand partout et à la minute même où je rejoins l'escalier, je comprends que cela ne va pas être si facile que ça de sortir d'ici.

Je monte rapidement les marches, maudissant au passage la pensée qui m'a guidée ce matin dans mon choix vestimentaire et m'a fait mettre une robe, qui ne se révèle pas vraiment pratique pour l'occasion. La rampe glisse sous mes doigts trempés de sueur et monter les marches devient de plus en plus difficile.

Pourtant, comme si ma vie en dépendait, je sers contre moi avec mon coude la petite danseuse. Je ne réfléchis même plus quand j'atteins enfin l'étage suivant. Mais lorsque je veux rejoindre le point de rendez-vous que j'ai moi-même fixé à Iguen, je sens que les ennuis ne font que commencer.

Les flammes m'empêchent de passer. Un instant, je les observe avec une étrange fascination. Qu'elles sont belles, splendides, pleines de mouvement... Leur couleur orangée me ravit malgré moi et il me fait un nouvel effort de volonté pour m'en éloigner. Je me remets à courir malgré les fumées qui commencent à m'étouffer jusqu'au moment où je m'arrête brusquement, paniquée.

La danseuse ! Ou est-elle passée ? Je me précipite en arrière tout en me faisant une réflexion étrange : décidément, les fumées me détraquent sérieusement l'esprit. Mais pour le moment, je me sens incapable de résister à cette anxiété. J'ai l'impression que la danseuse reste ma seule alliée dans ce palais brusquement transformé en lieu de cauchemar.

Je retourne sur mes pas en courant et ne tarde pas à l'apercevoir. Au pied des flammes qui s'approchent inexorablement de mes superbes tapis, la petite danseuse gît sur le sol.

Je l'attrape d'un mouvement brusque et fais de nouveau demi-tour. Je cours dans le couloir lorsque je m'arrête de nouveau. Les flammes semblent vouloir m'encercler et j'en vois également devant moi.

Je me rue alors sur le côté, et pénètre dans un grand appartement. Je le reconnais sans peine lorsque je m'adosse à la porte refermée pour encore quelques minutes avant que le feu ne saccage tout.

C'est l'appartement de mes parents. Est-ce une vengeance tardive des cieux ?

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now