Intemporel T3 & 4

Edilyn (Chapitre 31)

Ma chambre est transformée en véritable petite salle d'opération. Le docteur a décrété qu'elle serait plus pratique que la chambre d'Eric.

Debout dans un coin, les yeux fixés sur le visage trop pâle d'Eric allongé sur le lit, je ne peux m'empêcher de penser que je n'ai pas réalisé sa dernière volonté. Il voulait tant revoir Thaïs...

Le docteur me bouscule brusquement et grogne quelques mots que je comprends avec difficultés.

-Ne restez pas dans le passage, vous gênez !

Je recule encore un peu plus et finit par me laisser tomber dans un petit fauteuil vert, seul meuble pas encore envahi de matériel d'opération.

Dans la pièce s'agite également deux jeunes infirmières, que j'ai choisis avec beaucoup d'attention et qui ne risquent pas de trahir mon affection pour cet enfant. En tout cas je l'espère.

Fait curieux, ce sont deux sœurs jumelles qui ne se différencient que par la couleur de leurs cheveux actuellement relevés en chignon. L'une les a blond et l'autre marron-roux.

Je m'accroche aux détails pour éviter de m'attarder sur les préparatifs autour d'Eric. Mes yeux croisent ceux du garde du corps que j'ai gardé auprès de moi à l'autre bout de la pièce. Chris.

Avoir Gaëtan à mes côtés en un pareil moment était au-dessus de mes forces. J'aurai détesté le voir me contempler avec émotion en sachant qu'il pensait que j'étais encore capable de générosité envers les autres.

Le docteur se relève alors après avoir ausculté Eric. Il se tourne vers moi et je contemple une nouvelle fois avec quelques appréhension son grand âge et ses cheveux blancs. Pourvu que j'ai pris la bonne solution...

-Majesté, nous sommes prêts à commencer l'opération.

Je réponds d'une voix rauque.

-Alors allez-y.

Alors que le docteur échange quelques paroles avec ses deux infirmières, je plonge dans mes propres pensées.

Que ferais-je si Eric mourrait dans cette opération ? A cette seule idée, mon regard se durcit, mes poings se crispent, et un sourire amer étire mes lèvres.

Si telle était l'issue, je ne donnerai pas cher de la vie de cet homme. Je crois que dans ma colère, je le détruirais sans l'ombre d'une hésitation. En revanche, s'il réussit... Est-il conscient de mon débat de conscience ?

Je ne pense pas. Je crois sincèrement que son seul but en ce moment est de sauver un malade.

Mes yeux se posent alors sur Eric. Le docteur sort les outils nécessaire. D'un geste sûr, il entaille la chair et je détourne brusquement la tête.

Il va lui changer la plupart de ses organes... Je sens la peur et la révolte entrer dans mon coeur. Je me lève de mon siège pour faire quelques pas en évitant de regarder Eric.

Je titube et sens alors une poigne ferme me rattraper au passage. Je relève la tête et croise les yeux clairs de mon garde du corps.

Le souffle court, je me dégage brusquement et le fusille du regard. Il esquisse un mouvement de recul avant de murmurer :

-Excusez-moi majesté, j'ai cru bien faire en vous empêchant de tomber...

Je réponds d'une voix froide, avec la plus mauvaise foi du monde.

-Je ne tombais pas. Sans vous, je n'aurai eu aucun problème.

Je me dirige ensuite vers la porte de la chambre et tourne la poignée avant de sortir. L'une des infirmières me jette un coup d'œil et Chris hésite quelques secondes, douché par ma remarque acerbe.

Je regagne mon petit salon où se trouve déjà Gaëtan et Chris ne tarde pas à nous rejoindre. La première chose que je remarque, c'est le livre que tient Gaëtan dans ses mains. Il sursaute en nous voyant avant de hausser les épaules. Je lui demande d'une voix légèrement froide :

-Je croyais avoir interdit que l'on prenne des livres dans ma bibliothèque.

Un silence de quelques secondes s'éternise avant que Gaëtan ne baisse la tête.

-Oui, princesse.

-Et celui-ci vient bien de mes étagères, non ?

-Oui mais...

-Mais quoi ? Je ne t'ai pas autorisé à le prendre, il me semble !

Il garde le silence et je finis par me diriger vers mon coin favori : mon siège près de la fenêtre où je me laisse tomber. Les deux anneaux d'or que j'ai mis à mes chevilles avec le pantalon bouffant de style oriental produisent un petit bruit musical délicieux à mes oreilles mais je ne m'en préoccupe pas.

Une soudaine curiosité me saisit et me détourne de mon inquiétude pour Eric pendant quelques secondes.

-Mais à propos Gaëtan... Quel est ce livre que tu tenais tant à lire ?

Il vient de poser le petit volume sur une table basse et hausse les épaules une nouvelle fois avant de répondre.

-Un roman... Du fantastique. J'aime beaucoup ça et j'avais besoin de me changer les idées en vous attendant.

J'hésite un dixième de seconde puis finir par répondre en détournant les yeux vers les vitres de ma fenêtre.

-Reprends-le. Disons que je te l'offre.

Je ne me retourne pas mais le silence qui suit ne fait aucun doute. Mes deux gardes du corps n'en reviennent pas. Mais qu'importe... Pourquoi ai-je voulu être gentille soudainement ?

Parce que je voudrai presque supplier le ciel de m'accorder la vie d'Eric et je ne me sens pas le coeur actuellement à faire du mal gratuitement ? Ou parce que... J'ai simplement voulu faire plaisir à Gaëtan ?

Je secoue la tête et le silence s'installe de nouveau entre nous trois. Nous attendons. Que les minutes, que les heures passent.

Mes yeux sont fixés sur la mer en contrebas. De ma fenêtre, j'aperçois un petit bout de notre parc et les flots qui viennent s'échouer sur quelques rochers.

La nature sauvage et toute la science de l'homme dans un jardin... Joli paradoxe.

Je sursaute alors brusquement, consciente qu'au moins cinq heures se sont écoulées. Sans que je m'en rende compte tant l'anxiété me dévore le cœur. La porte de mon salon vient de s'ouvrir à toute volée et le docteur se précipite vers moi, oubliant tout protocole.

Je me lève d'un bond et court vers lui. Pour un peu, je le secouerai comme un prunier pour obtenir plus vite une réponse.

-Alors...? Alors, docteur...?

Les yeux du vieil homme scintillent et une joie folle et irraisonnée s'empare de moi lorsque sa réponse pénètre dans mon esprit.

-Il vit... Et il vivra princesse.