Edilyn (Chapitre 163)

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Rester calme... Rester calme... les poings refermés, les yeux fixés sur la glace que l'on vient de finir de réinstaller dans mon salon, assise dans un fauteuil, je tente de respirer calmement.

Pourquoi est-ce-que la vie est toujours aussi compliqué ? J'aime Gaëtan. Je devrais donc souhaiter son bonheur... mais penser que si je le libère il partira et que je ne le reverrai jamais... Il se mariera peut-être, à une personne sympathique, aimable... J'enfonce mes ongles dans mes paumes. Non. Je ne veux même pas l'imaginer...

Si je l'envoie effectivement sur Sagan, j'aurai un rapport régulier sur tous ses faits et gestes. Je ne le perdrai pas complètement de vue... Et cette seule idée me fait perdre tout autre pensée raisonnable. Un "toc, toc" résonne alors à ma porte et je me lève d'un bond de mon siège, me composant une attitude parfaitement calme et impeccablement neutre avant de dire :

-Entrez !

J'ai prévenu Iguen que je ne voulais aucun garde du corps pour cette visite... Le docteur Panem pénètre donc seul dans mon grand salon et la porte se referme derrière lui.

-Bonjour docteur... Comme vous le voyez, je vous reçois comme promis...

Le vieil homme à l'air aussi fringant qu'un jeune homme s'incline devant moi et je lui désigne un siège avant de me rassoir dans mon fauteuil. Il prend la parole et ses yeux pétillent d'une joie amusante.

-Majesté ! Que vous preniez autant d'intérêt à mes travaux est une chose merveilleuse... Pouvez vous me résumer ce que vous comptez faire aujourd'hui ?

Je jette un coup d'œil par la fenêtre au radieux ciel bleu de cette superbe matinée avant d'esquisser un léger sourire.

-Après le déjeuner, nous allons faire une annonce officielle. D'abord au sujet de la reconstruction d'Ivy qui avance à grands pas et ensuite sur le sujet qui vous concerne : vos découvertes et l'expédition que vous programmez. À ce propos, ou en êtes-vous exactement ?

-Nous avons énormément de chance car la plupart de nos locaux et le fruit de nos recherches n'a pas eu à souffrir de l'incendie... L'expédition, cela fait un an que nous la préparons, parce que nous n'attendions plus que des précisions mathématiques pour les organisateurs de bord... Nous savions que Sagan -ou simplement cette terre habitable- existait grâce à de précédentes recherches mais tout coordonner n'a pas été facile... Nous serons prêts à partir dans trente-quatre jours.

Je reste quelques secondes silencieuse, enregistrant mentalement l'information.

-Docteur, vous connaissez mon projet de vous adjoindre des prisonniers qui devront vous obéir... Combien pourrez vous en prendre dans cette première expédition ?

Un sourire éclaire le vieux visage ridé du professeur.

-C'est d'ailleurs une idée excellente majesté, je me permets de vous le préciser... pour la plupart nous sommes des scientifiques et pour les tâches manuelles et physiques... Utiliser des prisonniers politiques me paraît formidable : cela nous est utile et leur donne également à eux une seconde chance.

Voyant mes sourcils se froncer d'un léger agacement, il s'empresse de d'ajouter :

-Mais je ne réponds pas à votre question ! Majesté, nous nous sommes organisés pour pouvoir avoir avec nous trois-cent-cinquante prisonniers.

Je répète le chiffre à mi-voix avant de répondre.

-C'est parfait. Et l'expédition est prête à partir pour dans un mois... Docteur, puis je vous dire à tout à l'heure pour l'émission en direct ?

Nous nous levons tous les deux et j'échange avec lui une franche poignée de main. Il tourne les talons et quitte la pièce rapidement. La porte s'est à peine refermée qu'Iguen entre à son tour en demandant ma permission d'un regard. J'accepte d'un geste et lui demande :

-Trois-cent-cinquante prisonniers partiront pour Sagan... Qu'en penses-tu ?

Iguen me dévisage en silence quelques secondes et je fixe à mon tour ses traits durs sans ciller. Il détourne les yeux le premier.

-Majesté... Je ne comprends pas.

-Ou est le problème ?

-Je suis le seul à savoir, avec le chef rebelle Christian, que vous vouliez rendre le trône à votre frère... Alors pourquoi cette politique maintenant ? Avez-vous changé d'avis ? J'essaie juste de comprendre...

Je ne réponds pas et m'approche de quelques pas de la glace. Je contemple quelques secondes ma silhouette en silence. Ma robe bleu de nuit, flottante parce que les fines avec ma grossesse avancée ce n'est pas du meilleur effet, mes bracelets dorés aux chevilles, le serpent qui me sert le bras...

Ne pas penser. Ne surtout pas penser à Gabriel. La gorge sèche, je me décide à me retourner vers Iguen pour lui répondre.

-Je voudrai respecter ce que Gabriel aurait voulu que je fasse. Mais comment agir ? Je ne sais gouverner que d'une seule façon, et ceux qui m'entourent n'attendent pas de moi une autre conduite... La vérité c'est que j'en ai assez de tout ça. Mais j'ai peur. Peur de toutes ces interrogations. Que veux tu que je fasse ? Les laisser libres, ces fameux prisonniers ? Mais ils renverseront mon trône car ils auront tout le peuple derrière eux ! Et j'ai tellement peur... Pour mes enfants à venir, pour la royauté, de moi-même...

Je repense à Gabriel, à son courage et sa fierté. Notre maudite fierté de famille qui nous a tous amenés dans des chemins tortueux... je reviens à la réalité en entendant Iguen dire avec un léger rictus :

-Je n'aime pas les états d'âme en général et j'évite pratiquement toujours d'en avoir. Mais, si vous comptez envoyer ces fameux prisonniers sur Sagan... nous avons actuellement bien plus de trois-cent-cinquante personnes chez nous pour cause de mauvaise politique !

Mes yeux s'allument d'une lueur sauvage tandis que le portrait de Gabriel s'éloigne légèrement dans mon esprit. Je retrouve un terrain connu : celui des défis. Il faut juste que j'évite à tout prix de penser de nouveau à mes débats intérieurs...

-Eh bien nous ferons des choix !

Iguen ne répond pas et un léger silence s'en suit. Les lèvres pales et serrées, je me décide à murmurer :

-Qui est l'âme du complot Iguen ?

-La femme de Gabriel et sa fille mais...

Je blêmis. Je ne pensais qu'à Azylis... Imaginer Ysaïne, la fille de Gabriel, me refais prendre conscience en un instant du gouffre de douleur béant en moi. Faisant un immense effort pour garder un visage neutre, je murmure :

-Et ou se trouve actuellement Azylis et sa garde rapprochée ?

Un sourire cynique illumine alors le visage du chef de ma garde noire.

-D'après nos renseignements, au petit palais majesté... Ils pensent que nous n'avons pas encore rassemblés nos forces.

Je murmure :

-Mais elles sont encore suffisamment fortes pour les vaincre...

Iguen s'incline et demande :

-Vos ordres majesté ?

-Attaquer le palais de Gabriel, demain matin, à l'aube.

Iguen se lève et fait quelques pas dans la pièce. Avant de partir, il se retourne brusquement vers moi et perd tout sourire pour dire :

-Majesté, j'étais sincère quand j'ai dit que je vous suivrais partout. Je préfère cette conduite là de... fermeté. Mais si vous voulez changer de route...

Quelque chose au fond de moi s'émeut à cette annonce et je devine qu'elle a coûté de vrais efforts à Iguen. Mais je secoue la tête avec un sourire aux accents tristes :

-Je te l'ai dit, sans Gabriel pour m'aider, je ne connais pas d'autre ligne de conduite...

Iguen s'incline sans un mot, et se dirige vers la porte. Juste avant de sortir, il se retourne vers moi pour murmurer :

-Ils ne savent pas ce qui les attend...

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now