Intemporel T3 & 4

Edilyn (Chapitre 124)

Gaëtan m'observe en silence pendant quelques minutes comme s'il ne savait pas très bien comment je vais réagir. Il se décide à me répondre lentement.

-Je suis venu te faire évader d'ici.

Je reste immobile, sous le choc. Je comprends enfin un léger détail qui m'avait échappé. Si Gabriel m'a sauvée, il est logique qu'il m'ait ramenée avec lui... Au milieu de gens qui me détestent et qui donneraient n'importe quoi pour me tuer. Furieuse, je siffle presque lorsque je reprends la parole.

-Je suis une prisonnière c'est ça ? Et tu es en train de désobéir à mon frère qui a dû décider de m'exécuter à un moment où à un autre... Oses dire le contraire !

Mais Gaëtan s'approche de moi et pose sa main sur mon bras. Je cache soigneusement mes émotions et me contente de l'incendier du regard.

-Tu te trompes Edilyn. Tu as bien été condamnée à mort par la majorité...

La colère me reprend et je recule brusquement.

-Et toi, encore parfait chevalier servant tu...

C'est à son tour de se mettre en colère. Je ne sais pas pourquoi je le provoque ainsi. C'est stupide mais je ne peux pas m'en empêcher. Les traits déformés par une colère que je ne comprends que trop bien, Gaëtan se rapproche de nouveau de moi et me serre le bras si fortement que je ne peux cacher une légère grimace de douleur.

-Répètes encore ça une seule fois... Ingrate ! Imbécile... C'est ton frère qui m'envoie te sauver. Seul, je n'aurai rien fait. Je n'aurai pas trahis le prince, et je n'aurai pas laissé mes émotions me dominer une seule fois de plus. Alors comprends ça car je ne le répéterai pas deux fois. Si tu restes en vie ce soir, c'est uniquement à cause de ce frère que tu déteste. C'est compris ?

Il lâche mon bras et recule, furieux contre lui-même et évitant mon regard. Je ne sais que répondre. Ma gorge se serre malgré moi à l'idée de tout ce que Gabriel s'apprête à faire pour moi. Je ne veux pas y penser. Je ne veux pas songer une seule fois au vide qui grandit en moi chaque fois que l'on prononce son nom. Comme si sa présence me manquait chaque jour un peu plus. Je pose alors une question sourde, comme si j'avais besoin de me raccrocher à quelqu'un à détester.

-Et Azylis ? Elle ne sait rien de tout ça non ?

Exaspéré, Gaëtan relève la tête vers moi.

-Tu ne changeras donc jamais ? Eh bien, puisqu'il n'y a que ça pour te détruire, je vais te dire la vérité. Elle a pris ta défense. Elle a essayé de t'épargner.

Perdue, immobile, tremblante, je relève lentement mes yeux pour les poser sur Gaëtan qui me tourne le dos.

-Pourquoi ?

Même à moi, ma voix me paraît dérisoirement faible. Sans se retourner, Gaëtan me répond lentement.

-Elle a su dominer sa haine pour deux raisons. Tu es la sœur de Gabriel et... Tu es enceinte.

Je recule comme s'il m'avait gifflé.

-Comment... Comment savez-vous ça ?

-Tu ne te réveillais pas et personne ne comprenait pourquoi. Nous avons fait venir un jeune apprenti médecin. Après t'avoir étudié, il nous a révélé ce "détail".

Je ne trouve rien à répondre. Je murmure d'une voix sourde :

-Si vous ne me libérez pas, vous gagnerez sans problème. Gabriel pourrait retrouver le trône dès demain s'il le voulait.

Gaëtan se retourne vers moi. Nos yeux se croisent et il serre violemment ses dents les unes contre les autres comme pour dominer un éclair de colère.

-Je sais. C'est pour ça que tout cela doit absolument rester secret. Personne ne doit savoir que nous avons libéré le chef ennemi...

Je ne réponds rien tandis qu'il finit d'un ton dangereusement calme.

-... Il faut croire que Gabriel trouve ta vie plus importante que la victoire.

C'est moi alors qui m'approche de Gaëtan. Posant mes yeux dans les siens, je demande d'une voix légèrement adoucie :

-Et comment comptes tu me faire évader ?

Il jette un coup d'œil à un écran qu'il sort de sa poche. Il relève ensuite ses yeux sombres vers les miens avant de désigner du bras la baie vitrée derrière lui.

-J'ai demandé à quelqu'un de confiance de venir avec un dragon dans exactement dix minutes.

Je m'approche encore légèrement de lui et ose poser la question qui me brûle les lèvres.

-Ils sauront que c'est toi qui m'a sauvé la vie... Comment crois tu qu'ils réagiront ?

D'une voix neutre bien qu'un peu froide, Gaëtan reprend calmement la parole en haussant les épaules.

-Que ferais-tu toi dans le cas contraire ?

De plus en plus anxieuse malgré moi, je réponds dans un murmure.

-Je t'exécuterai.

-Eh bien, je crois qu'ils feront exactement la même chose.

-Non ! Gaëtan ne les laisse pas...

Froidement, il écarte ma main que j'avançais vers son épaule. Il m'adresse un sourire ironique loin du caractère habituel que je lui connais.

-Non ? Et que proposes-tu ? Que je choisisse de m'enfuir avec toi jusqu'au jour où tu en auras de nouveau assez de me présence ? Et je finirai au mieux dans l'une de tes prisons ? Ça suffit Edilyn. Je préfère mourir aujourd'hui.

Je sens mes barrières mentales céder. La colère qui aurait normalement dû m'envahit à ces mots que je n'aurai toléré chez personne d'autre laisse place à une peur que je ne comprends pas forcément.

-Gaëtan ! Et si je te donnais ma parole de te laisser libre ? Entièrement libre ?

-Et que vaut ta parole ?

Mortifiée, je me mords la lèvre en retenant une larme d'angoisse qui menace de couler sur ma joue.

-Peut-être pas grand-chose. Mais je t'en prie, fais-moi une nouvelle fois confiance !

Je tente de m'approcher de nouveau de lui mais il recule et pousse un léger cri de colère, froid.

-Non Edilyn ! Je ne veux plus souffrir. Je ne veux plus regarder les gens que tu sacrifies à tes ambitions chaque jour. Je ne veux pas être à chaque heure à tes côtés alors que...

Il s'arrête de parler et ferme légèrement les yeux avant de poursuivre.

-Tu auras bientôt tes enfants pour te tenir compagnie. Ne me demande pas de te servir de nouveau de jouet.

J'hésite légèrement, n'osant pas mettre de mots sur la pensée qui vient de me traverser l'esprit. Je jette un coup d'œil autour de moi dans la pénombre et me décide enfin à poser la question d'une voix hésitante.

-Gaëtan... Serais-tu jaloux ?