Edilyn (Chapitre 70)

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Je marche de long en large dans mon petit bureau sans m'arrêter. Je n'ai qu'une envie, courir jusqu'à m'essouffler complètement et ne plus penser à rien.

Pourquoi est-ce-que ce maudit filet a lâché ? Tout le monde va penser que j'en suis la responsable ! Et surtout, pourquoi est-ce que je me suis sentie si inquiète ? Si horrifiée ?

J'ai toujours voulu tuer Gabriel... Qu'est-ce-qui a changé ?

Au fond, je le sais depuis longtemps même si je refuse de l'admettre. C'est moi qui ai changé. J'entends alors comme à travers un brouillard la porte de mon salon s'ouvrir. Je m'arrête de marcher n'importe où et me dirige vers cette direction.

Dans mon salon, Chris -mon mari, j'ai quand même du mal à m'en souvenir !- m'attend le dos appuyé contre la porte. Il attaque dès qu'il me voit.

-C'est toi qui as fait ça ? Mais enfin, tu es folle ! Je te croyais dépourvue d'humanité mais plus intelligente ! Devant les délégations étrangères, avec en danger un concurrent espagnol, et face à toute la population d'Astra ? Mais qu'est ce qui t'as pris ?

Je ne sens en moi qu'une immense colère et une terrible lassitude. Aucune trace de la colère que j'avais tendance à éprouver, avant. Avant... Le changement qui s'opère lentement en moi. Lueur incertaine et vacillante d'amitié et de respect pour toute vie humaine qui s'allume dans mon coeur.

Je ne réfléchis pas et fais alors la chose la plus étonnante de ma vie. Je me précipite dans les bras de Chris qui hésite sur la conduite à adopter, surpris par cette soudaine familiarité. Les larmes me submergent sans que je réussisse à les retentir.

-Oh ! Chris... Mais ce n'est pas moi ! Je n'y suis pour rien, strictement pour rien... Je ne comprends pas... Et je suis complètement perdue.

Je m'écarte de lui et inspire fortement pour me calmer. Il ne serra pas dit que j'ai passé toute la journée à me ridiculiser. Pourquoi est-ce-que le visage de Gaëtan vient une fois de plus passer devant mes yeux ? Est-ce lui qui me fait tellement changer sans que je sache comment réagir ?

Mais Chris me ramène brutalement au présent en prenant la parole.

-Ce n'est pas toi ! Je trouvais ça un peu étrange aussi... Alors, c'est quelqu'un contre la monarchie. Il a dû vouloir éliminer la menace que représentait Gabriel et dresser tout le peuple un peu plus contre Edilyn... C'était d'ailleurs un plan remarquable. Mais qui aurait intérêt à faire ça ?

Ses déductions me frappent et suffisent pour que je m'arrête de pleurer. Je me redresse lentement et commence à réfléchir moi aussi à haute voix.

-Ça ne peut qu'être un personnage haut placé dans la résistance. Et les rapports de nos espions ne parlent que de trois chefs. Gabriel. Un certain Christian et un autre nommé Acalin.

Chris temporise aussitôt.

-Ce n'est pas forcément un chef qui a fait ça.

-Mais quelqu'un qui espérait tirer quelque chose de cette action.

J'avance alors de quelques pas, complètement calmée, et murmure :

-J'ai juste étrangement de la peine au sujet de ce que Gabriel va penser de moi. Les autres, ça m'est égal. Mais pour une fois que je ne lui avais rien fait...

Lorsque je me retourne vers la porte, je constate alors que Chris vient de quitter la pièce. Il a compris sans que j'ai besoin de le dire mon besoin soudain de solitude. Pour tenter de me comprendre moi-même...

Je passe dans ma chambre, éteins toute les lumières et me blottis dans mon fauteuil préféré contre l'une des fenêtres. Deux minutes plus tard, je m'endors d'un sommeil agité.

Lorsque je me réveille le lendemain matin, il est bien midi et je me sens agréablement installée alors que je devrais avoir pleins de courbatures pour avoir choisis un fauteuil et non mon lit.

Mais de toute évidence, Chris a dû demander à mes femmes de chambre de me déplacer. Ou Eric. Il aime bien veiller lui aussi à ce que je dorme bien.

Ils sont étonnants... Je ne pense jamais à eux ou si rarement que cela ne compte pas vraiment -quand ils sont en danger par exemple et qu'il faut que je les sauve comme lorsqu'Eric était malade- et eux pensent toujours à moi.

Je me lève et me remémore les évènements de la soirée. Gabriel... Mais pourquoi est-ce-que cela m'embête tellement ?

Je me secoue et appelle d'un appui sur une sonnette mes femmes de chambre qui m'habille en quelques secondes d'un pantalon blanc, d'une tunique noire et de bottes de la même couleur. Une tenue que je ne porte pratiquement jamais. Je les congédie ensuite d'un geste de la main et enfile rapidement une paire de sandales dorées à talons haut, mes boucles d'oreilles d'émeraude, et laisse mes cheveux libres dans mon dos.

Je sors de ma chambre et rejoins la salle de réunion qui ne désemplit pas de la journée. Le mauvais départ des jeux olympiques m'amène tout un tas de dignitaire que je rassure sur la qualité de mes intentions à coup de discussions et d'excellents verres de vin -rien de tel pour détendre l'ambiance-.

Après le dîner, je me dirige vers mon appartement et prend dans un des tiroirs de la commode de ma chambre une paire de gants bleus pâles et un masque assez simple qui -une fois mis en place- me cache la moitié du visage et me rend méconnaissable.

Moi qui ne porte que des robes habituellement, j'ai choisis ma tenue d'aujourd'hui justement pour passer totalement inaperçue. Mais lorsque je passe au salon, je constate avec surprise que Chris m'attend une fois de plus appuyé contre le battant de ma porte d'entrée. On dirait bien que ça devient une manie.

Il me dévisage avec une stupeur mal déguisée en contemplant le masque dans ma main et ma tenue avant de demander d'une voix inquiète :

-Tu ne comptes quand même pas y aller ?

Ce soir, comme chaque année dans le pays organisateur des JO, les rues seront envahies de danseurs masqués et ce sera une fête merveilleuse qui durera toute la nuit. Je réponds avec une pointe de défi dans la voix :

-Tu comptes me l'interdire ? Je veux y aller et j'irais.

Chris me regarde pendant quelques secondes, puis il s'approche et me prend les bras dans ses mains fortes. Tout l'amour et l'inquiétude qu'il ressent pour moi brillent au fond de ses yeux bleus. Mais je ne me laisse pas apitoyer pour autant et me dégage tandis qu'il me demande :

-Mais pourquoi veux tu y aller ? Si tu étais reconnue... Tout le monde te déteste !

Je hausse les épaules et mon regard redevient aussi glacé que dans les pires moments de ma vie.

-Je veux tout oublier et danser. J'en ai le droit et je l'utilise. Et ne viens pas avec moi. Je veux pour tout le monde n'être qu'une anonyme.

Devant sa tristesse évidente, je m'adoucis légèrement et m'approche pour poser la main sur son épaule.

-A tout à l'heure Chris.

Et je sors de mon appartement en tâchant d'être discrète pour que personne ne se doute d'où je vais. C'est facile car il est déjà neuf heures du soir et la plupart des gens qui hantent habituellement les couloirs du palais sont partis s'amuser ou -pour les plus ennuyeux- tout simplement dormir.

J'ai faillis mettre ce soir la superbe bague de Gaëtan. Pur sentimentalisme... Et puis, finalement, j'ai réussis à me convaincre de ne pas le faire. Cette nuit, il faut que j'oublie tous mes soucis. Que je redevienne comme avant une petite fille...

Quelques minutes après avoir traversé les immenses jardins, je suis dehors sans avoir rencontré âme qui vive. J'ai donné un jour de congé à la plupart des gardes ce matin...

J'enfile alors mon masque, laisse un sourire envahir mon visage, et me glisse au milieu de tous ces gens qui circulent dans les rues dans une délicieuse odeur de beignets et dans la musique des petits orchestres.

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now