Azylis (Chapitre 146)

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A B-P.

Les gens s'écartent sur mon passage, comme si j'étais soudain devenue quelqu'un d'important. N'étais-je pas la femme de leur prince ?

Je pénètre dans le bâtiment sombre en ayant l'impression de marcher sur des milliers d'aiguilles. Je ne peux m'approcher de l'immense cercueil. Quelque chose au fond de moi refuse de voir son visage endormi pour toujours, trop pâle, figé.

D'un autre côté, je refuse de ne pas lui dire adieu. J'aurai l'impression de ne pas lui avoir été fidèle. Alors que j'inspire fortement pour chasser mes larmes et m'approcher, une main se pose sur mon épaule.

Si tout le monde s'écarte sur mon passage, personne n'a osé venir me parler. Comme si mes yeux en feu décourageaient n'importe qui de tenter seulement de me consoler.

Je me retourne donc avec une légère surprise et mes yeux s'agrandissent en découvrant le visage aux traits tirés par la souffrance de Christian. D'un mouvement convulsif, sans réfléchir, j'avance la main et l'agrippe au bras avec l'envie délirante de le faire atrocement souffrir.

-Toi ! Toi... mais c'est de ta faute s'il est mort ! Il est partit à ton secours dans cette tour maudite !

Je ne fais que chuchoter et le lâche brusquement devant les regards curieux que nous lancent les gens. Je lui tourne brusquement le dos, m'attendant à l'entendre nier ce que je viens de dire mais seuls quelques mots sortent de sa bouche.

-Oui... tu as raison. C'est ma faute.

Je me retourne lentement et lui jette un léger coup d'œil. Jamais je n'ai entendu quelqu'un d'autre prononcer les mots "c'est ma faute" avec le même accent de désespoir.

-Je ne pensais pas que tu regretterais sa... sa disparition.

Et je tourne cette fois-ci définitivement les talons pour l'oublier et m'approcher du cercueil posé devant un caveau taillé dans la pierre.

Immobile, mes yeux tentant désespérément de distinguer le visage de celui que j'aime tant à travers le verre qui s'obscurcit à grande vitesse, je sens mon cœur se serrer de nouveau.

Si j'étais seule, s'il n'y avait tous ses regards tournés vers moi, je m'écroulerais en pleurs sur la surface sculptée. Un recoin de mon esprit note que les cloches de la ville sonnent toujours leur lourde mélodie.

Un homme en blanc, que j'identifie comme un prêtre, s'approche de moi et pause sa main sur mon épaule. Dans le silence ambiant, il me dit d'une voix calme :

-Savez-vous que le prince était venu me voir il y a quelques jours ?

Je tressaille et une partie de moi note de retenir ce qu'il va dire. Je demande d'une voix basse :

-Et... que vous a-t-il dit ?

-De remettre ceci à la femme qu'il aimait le plus au monde s'il mourrait, que je comprendrais le moment venu. Il me semble que c'est vous non ?

Les yeux embués, je hoche lentement la tête en regardant le petit objet qu'il me tend à travers sa vieille main ridée. Je devine que le premier rang de la foule ne perd pas une miette de cette conversation. J'avance la main et je ne tarde pas à refermer mes doigts sur une petite chaîne dorée avec une médaille. Je murmure :

-Merci... merci.

Le prêtre hoche la tête avant de se diriger vers la gauche du cercueil juste derrière lui. A qui ai-je dit merci ? A l'homme en soutane ou à Gabriel ?

Je jette un coup d'œil à la médaille que je sers dans mes doigts. C'était un accord non-dit entre nous... Nous ne parlions jamais de religion.

Je sais que Gabriel était chrétien. Je lui ai toujours soutenu que je ne croyais pas à toutes ces fariboles. Je me rappelle lui avoir dit un jour ceci : "si Dieu existait, alors il ne pourrait pas permettre toutes ses horreurs dans le monde..." et la réponse de Gabriel m'est restée en mémoire malgré moi car elle m'avait marquée. "Si. Parce qu'on est libre. Nous ne sommes pas des esclaves et nous sommes libres de faire nos choix. Aimerais tu qu'on t'oblige tout le temps à être bonne ? C'est parce qu'il nous aime que le malheur existe... parce que nous sommes libres et que nous l'avons choisi."

Alors, voilà son dernier cadeau ? Un conseil... croire en Dieu. Mes réflexions ne durent qu'une demi-seconde avant que je redresse la tête vers le cercueil que plusieurs hommes sont en train de mettre dans le caveau. Je glisse la médaille dans l'une de mes poches sans même réfléchir.

Quelqu'un s'approche de moi et un coup d'œil me suffit à reconnaître de nouveau Christian. Je me contente de me crisper mais ne bouge pas.

-Azylis...

-Oui ?

-Je voulais te donner quelques explications. Le caveau restera ouvert pendant trois jours. Ensuite ils le fermeront et les visites cesseront... sauf pour la famille proche.

Voyant que je ne réagis pas, il pause la main avec hésitation sur mon épaule. Mes yeux sont rivés sur le cercueil posé au fond du caveau.

Ne pas penser... Ne pas penser... Je pleure sans m'en rendre compte de nouveau avant d'entendre à travers un brouillard la voix de Christian qui tente de me secouer pour que je retrouve mes esprits. Mais je le déteste... Je sais que c'est stupide mais je ne peux m'empêcher de penser que sans lui, à l'heure qu'il est, je pourrais serrer un Gabriel bien vivant dans mes bras...

-Azylis !... Azylis... Les gens s'en vont...

-Tant mieux je pourrai rester seule.

Il ne répond rien avant de murmurer à mon oreille :

-C'est pour toi qu'ils partent. Normalement ils restent beaucoup plus longtemps. Ils reviendront plus tard...

La salle se vide très rapidement et la dernière visiteuse à s'arracher à la contemplation du cercueil de verre est une fille aux cheveux noirs et aux joues couvertes de larmes. Une capuche lui couvre entièrement la tête et ne permet pas de voir son visage. Je hausse les épaules pour moi-même, me fichant au fond de savoir qui elle est. Une fois tout le monde parti, moins un garde au fond de la pièce et Christian derrière moi qui ne semble pas voir mon animosité, je m'écroule à genoux devant le cercueil.

Mais je me redresse deux minutes plus tard. Je lève mon regard fou vers Christian, seul interlocuteur que je connaisse possible.

-Christian !

Il me répond d'une voix rauque qui ressemblerait presque à un  croassement de grenouille.

-Quoi ?

-Je peux retourner dans le temps ! Non ? Non ?

Ma voix se fait presque suppliante et je vois que j'ai fais peur à Christian.

-Non ! Ce n'est pas possible ! Il existe le paradoxe temporel...

Mais ça m'est égal. Je veux tenter ma chance... je veux tout tenter. L'impossible s'il le faut, quitte à en mourir. Une petite voix me fait penser à Ysaïne mais ma douleur est trop forte et c'est elle qui l'emporte. Je veux tenter quelque chose...

Intemporel T3 & 4Where stories live. Discover now