Chapitre 24 - Andrew

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       Je franchis le seuil de la porte d'Esther avec une prudence exacerbée, mon portable serré dans une main. Sa lumière blafarde se fraye un chemin à travers l'obscurité.

— Esther ? Emma ? Il y a quelqu'un ? demandé-je d'un ton neutre qui ne laisse pas transparaître mon appréhension.

L'air est lourd d'une tension palpable. Chaque recoin de la maison murmure une mise en garde. J'essaie d'allumer une lampe puis une deuxième. Le courant est coupé. Je tape dans un objet sur le sol, c'est la base d'un téléphone. Immédiatement, mes pensées s'assombrissent.

Je me dirige vers le salon, la lumière de ma torche balayant les murs à la recherche d'indices et je constate qu'une lutte a eu lieu. Les tapis sont froissés ou retournés. L'un des fauteuils est en plein milieu du passage. Plus loin, j'aperçois des gouttelettes de sang au pied d'un meuble dont la porte est abîmée.

— Esther. C'est Andrew, déclaré-je en progressant au rez-de-chaussée.

Aucune réponse.

Le salon, baigné dans une atmosphère oppressante, révèle un spectacle de désolation. Des vases, autrefois témoins muets de moments de joie et de peine, gisent brisés sur le sol. Leurs éclats sont dispersés comme les pièces d'un puzzle tragique. Parmi les débris, je distingue les lunettes d'Esther, écrasées.

Je crains le pire à la vue de ce chaos.

Je m'approche de la baie vitrée, entrouverte, laissant filtrer l'air frais de la nuit. Mon regard est attiré par le panneau de l'alarme, étrangement silencieux. D'un geste, je le réactive. Immédiatement, un son strident déchire le silence.

Sur l'écran de contrôle, les visages des agents de sécurité apparaissent.

— Envoyez des secours ! Quelque chose ne va pas chez Esther Birmingham, ordonné-je d'une voix ferme, malgré mon tumulte intérieur.

Avant même qu'ils ne puissent répondre, un cri aigu résonne. Il est un appel désespéré qui génère un frisson tout le long de ma colonne vertébrale.

— Vite des secours ! insisté-je.

Sans hésiter, je me précipite vers l'extérieur, la lumière de mon téléphone éclairant mon chemin. La scène qui m'accueille est celle d'un cauchemar éveillé. Juliette est penchée sur Esther, inanimée sur le sol. Elle s'affaire à lui prodiguer les premiers soins.

Sur le point d'utiliser sa bombe au poivre ou lacrymogène sur moi, elle la lâche en me reconnaissant. Je crois déceler qu'Esther se trouve dans un grand sac noir duquel Juliette l'a à moitié sortie.

— Nous ne sommes pas seuls ! me hurle Juliette quand plusieurs craquements retentissent.

Une silhouette se dessine sous un des faibles éclairages du jardin. Elle est grande. Je dirais le mètre quatre-vingts. Son gabarit, plutôt costaux, me paraît être celui d'un homme.

— Je reviens ! m'exclamé-je alors qu'un véhicule arrive en trombe sur la propriété.

Un homme en sort, c'est Joe, un habitant de Crosshaven. Il a entendu l'alarme alors qu'il roulait devant la maison.

Il porte assistance à Esther me permettant de m'éloigner sans craindre pour la vie de Juliette.

Mon instinct prend le dessus et je me lance à la poursuite de l'intrus, ignorant les appels de Juliette qui me supplie de ne pas le pourchasser. Il y a bien longtemps que je n'avais pas couru aussi vite. Je ne me pose pas de questions et j'oublie la blessure qui me vaut une longue convalescence.

Alors que j'approche, l'ombre se faufile avec agilité entre les arbres. Elle est un spectre insaisissable. Me fiant aux bruits de sa course, je me retrouve sur la route. À peine ai-je le temps de distinguer la forme d'une voiture dissimulée dans l'obscurité qu'elle s'ébranle, s'enfonçant dans la nuit noire avec une rapidité déconcertante. La frustration m'inonde. Mes efforts ont été réduits à néant.

— Fait chier !

Derrière moi, le son des sirènes s'intensifie. Une cavalerie tardive se lance à la poursuite du fuyard. Je reste là, immobile, comprenant le drame qui se joue en ce moment même. L'impuissance m'envahit alors que je retrouve Juliette, Joe et Esther, le cœur lourd, conscient que cette nuit restera gravée dans nos mémoires à jamais.

— Et Emma ? m'interroge Juliette alors qu'Esther reprend connaissance tout en rencontrant des difficultés pour respirer.

Je jette un regard par-dessus mon épaule en direction de la maison. Quand une ambulance arrive, je décide d'à nouveau entrer dans la bâtisse. Je me dirige vers la cave dans laquelle Esther avait dit entendre des bruits suspects sur le message vocal laissé à Juliette.

Je me tiens au seuil de l'escalier dévalant vers les abysses. La lumière vacillante qui émane de mon portable projette des ombres mouvantes sur les parois. Tandis que je m'engage dans la descente, chaque écho de mes pas résonne tel un présage funeste. L'atmosphère se fait glaciale à mesure que je m'enfonce vers le sous-sol, charriant avec elle une pesanteur étrange, difficile à définir. Parvenu au pied de l'escalier, j'explore l'espace duquel émane une odeur de fer. C'est alors que mon regard se pose sur elle. Emma. Son corps est là, dans une disposition contre nature, l'éternel repos de la mort peint sur son visage désormais méconnaissable. Un marteau, maculé du sang encore tiède de sa vie fauchée, gît non loin de sa main flaccide, au cœur d'une flaque écarlate qui s'étend autour d'elle.

— Emma...

Ma voix n'est qu'un souffle, un murmure de vie dans cet espace où elle semble avoir été bannie. Faisant preuve de sang-froid, je m'avance, la lumière de mon portable révélant les stigmates d'une violence inouïe. Chaque impact témoigne d'une brutalité impensable. Les sévices infligés sont insupportables. Ils sont les récits muets de ses ultimes instants empreints de terreur.

Mon instinct me pousse vers une vaine tentative de secours. Je m'agenouille près d'elle, mon esprit refusant d'admettre l'évidence. Ma main se tend, hésitante, vers son cou à la recherche d'un signe de vie que je sais absent. La froideur de son épiderme sous mes doigts scelle ce que mes yeux perçoivent mais que mon cœur ne veut pas accepter. Emma a déjà rendu son dernier souffle.

La réalité de la situation me frappe de plein fouet. L'onde de choc est dévastatrice. Je recule, m'asseyant sur le sol glacé, incapable de détacher mon regard de son corps sans vie. Ses yeux sont grands ouverts, presque gris, vides de toute émotion. Les larmes brouillent ma vue. Je suis emporté par un torrent de frustration et de colère. Qui est l'individu à l'origine de toute cette barbarie ?

La frayeur s'installe, insidieuse, face à la possibilité que le meurtrier puisse encore rôder à proximité de la propriété, dissimulé dans l'ombre... observant peut-être. Mon esprit s'emballe, cherchant à imposer un ordre au sein de ce chaos. À trouver un moyen d'agir. Mais tout ce qui demeure est le silence accablant de la cave et le fardeau du deuil pour une existence si sauvagement arrachée.

Je me force à me relever. Je dois retrouver Juliette.

Je m'éloigne d'Emma et également de mon innocence, irrémédiablement souillée par les événements de cette nuit. Alors que je sors de la cave, l'inspectrice Evans surgie suivie de plusieurs policiers. À ma mine accablée, elle comprend que ce n'est pas une blessée qu'elle va retrouver, mais un cadavre.

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