Chapitre 7

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4 octobre

          Assise seule à la table d'un café, j'écoute les murmures des conversations et les tintements des tasses qui emplissent l'atmosphère feutrée. Ce vendredi a été une journée de travail longue et éreintante. Je trouve un semblant de réconfort en savourant un délicieux chocolat chaud, les yeux rivés sur la ruelle médiévale et étroite. Elle serpente entre des bâtiments de pierre aux façades irrégulières, pavée de galets usés par le temps. Des étals de marchands débordent créant une atmosphère animée où l'ombre des arcades accentue le mystère du passé. Les badauds sont nombreux à se balader pour réaliser les dernières courses de la journée.

— Cadeau de la maison, dit une serveuse en m'apportant deux shortbreads sur une assiette.

Des biscuits au beurre dont je raffole.

— Merci beaucoup.

Son geste me fait chaud au cœur. Il existe encore sur cette terre des gens généreux et gentils qui donnent sans forcément chercher à recevoir quelque chose en retour.

— Il paraît que May's Flowers a remporté le contrat d'embellissement de la ville avec la mairie.

Je souris fièrement.

— En effet.

— C'est mérité ! s'enthousiasme un client attablé plus loin qui se rhabille et quitte les lieux en laissant un pourboire.

— Il a raison, renchérit la serveuse en s'éloignant pour prendre une commande.

Leurs compliments nourrissent ma fierté même si je n'en montre rien.

Je reporte mon attention sur la vapeur qui s'élève doucement de ma tasse, m'enveloppant de son arôme réconfortant. Je me perds un instant dans la contemplation de la mousse crémeuse avant de me focaliser sur le journal que j'ai acheté à la hâte en rentrant de chez Andrew où Colm et ma grand-mère ont pris le relais. Le travail encore et toujours !

Les premières pages du journal défilent sans susciter mon intérêt. Mais alors que je tourne une page froissée, mes yeux tombent sur un article qui me glace le sang. L'encre noire forme des mots qui me transpercent et le chocolat chaud perd soudain sa saveur rassurante.

« Horrible meurtre à Carrigaline : une jeune femme sauvagement attaquée chez elle. »

Les détails macabres sont dévoilés. Ils dessinent une scène d'horreur dans mon esprit. Un intrus, un marteau, une vie arrachée dans le sanctuaire supposé de la sécurité domestique. Un frisson d'effroi court le long de ma colonne vertébrale. Je ne parviens plus à déglutir. Mes yeux s'écarquillent devant la brutalité de l'acte décrit. Il me rappelle tant ce que j'ai vécu...

Immanquablement, mon regard s'échappe du journal pour scruter les visages qui m'entourent. Le brouhaha du café m'oppresse alors que mes pensées se laissent happer par une terreur soudaine. Chaque personne à proximité devient une silhouette suspecte, un inconnu potentiellement dangereux. La confiance, cet élément fragile qui maintient notre société en équilibre, s'effrite dans mon esprit.

Je pose le journal sur la table, comme si le simple fait de le toucher pouvait contaminer ma réalité. Mon regard scrutateur analyse chaque coin de la pièce, chaque personne plongée dans ses pensées ou sa conversation. Le visage des individus prend une teinte sinistre. Je me demande s'ils cachent en eux des secrets inavouables. Le meurtrier est en fuite. Il peut être n'importe où.

La serveuse passe à côté de moi, apportant la note sans se douter de la tempête qui fait rage dans mon esprit. Ma boisson est désormais froide. Son amertume en bouche me vole un haut-le-cœur. Le confort éphémère qu'elle m'offrait a été remplacé par une anxiété sourde. Je paie machinalement, me lève et quitte les lieux avec empressement emportant avec moi le fardeau silencieux qui me tord les entrailles.

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