Chapitre 26

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      La concentration m'échappe comme du sable filant entre les doigts. Chaque document, chaque courriel semble flotter dans un brouillard où ma présence n'est qu'une ombre errante. Le bourdonnement constant de la VMC du petit bureau, habituellement un fond sonore familier, se mue en une cacophonie étouffante. Mes pensées vagabondent, inlassablement attirées vers les récents événements qui ont ébranlé la tranquillité des habitants.

Et puis, je ne peux m'empêcher de repenser à la discussion de deux clientes concernant des évènements dramatiques qui ont secoué Cork trente ans plus tôt.

— Colm. Ça te dérange si je te confie les clés de la boutique ?

Terminant la conception d'un bouquet, il pose un regard compatissant sur moi.

— Je m'occupe de tout ! Je gérerai la fermeture avec Abigail. Et je la raccompagnerai chez elle, ce soir.

— Je te revaudrai ça, réponds-je reconnaissante.

Poussée par une envie irrépressible de m'échapper de cet environnement oppressant, je me lève, ignorant les piles de paperasse qui réclament mon attention. L'air frais et la liberté de mouvement, voilà ce dont j'ai besoin pour dissiper ce nuage d'anxiété qui obscurcit mon esprit.

— Bonne fin de journée. Appelle-moi, si besoin.

— Toi, appelle-moi pour me dire que tu es en sécurité ! Je n'aime pas te savoir seule.

Le centre-ville, avec ses rues animées et ses conversations éparses, offre un répit illusoire. Les fragments de dialogues qui me parviennent, chargés de rumeurs et de spéculations sur les crimes qui ont secoué notre comté, ne font que raviver la flamme de mon inquiétude. Chaque écho de peur, chaque théorie murmurée, transforme ma promenade solitaire en une procession de pensées troublées.

La décision de me diriger vers la demeure d'Andrew s'impose à moi comme une évidence. J'ai besoin de le voir. Besoin d'être à ses côtés. En ce moment, je prends conscience du manque qui m'anime quand Andrew n'est pas dans les parages.

« Envie de marcher un peu. Tu es chez toi ? », lui envoyé-je par message en prenant la direction du parking où est garée ma voiture.

Assise derrière le volant, je m'enfonce sur mon siège en fermant les yeux. Il est à peine quatorze heures et je me sens bonne à rien. La motivation n'est pas au rendez-vous depuis le drame qui a eu lieu chez Esther, aujourd'hui plongée dans le coma.

Au bout d'une dizaine de minutes à repenser à cette nuit horrible, je prends la direction de la demeure d'Andrew bien qu'il n'ait pas répondu à mon message. Les portières verrouillées, le regard à l'affût du moindre individu suspect, je sillonne Cork jusqu'à Crosshaven. Arrivée à bonne destination vingt minutes plus tard, c'est Nine qui m'accueille. Je ne la connais pas vraiment. Pourtant, elle est une présence rassurante dans le tumulte de mes émotions.

— Juliette, bonjour. Andrew se trouve dans le jardin, il effectue une inspection minutieuse des lieux avec le gardien.

— Ah oui ?

— Leur attention est tournée vers les mesures à prendre pour renforcer la sécurité de la propriété. Êtes-vous attendue ?

— Je suis passée à l'improviste. Ne le dérangez pas. Je l'appellerai plus tard.

Nine s'écarte du chambranle de la porte.

— Entrez. Je vais le prévenir de votre présence.

— Vous êtes sûre ?

— Andrew apprécie que ses invités soient traités avec le plus grand soin, souligne la gouvernante. Veuillez entrer.

Je lui souris timidement et m'exécute. La rigueur et le sérieux de Nine m'impressionnent toujours autant quand je la croise. J'aurais dû rentrer chez moi plutôt que de m'incruster ici, songé-je me sentant de trop. Je suis accompagnée jusqu'au salon et j'attends assise dans un douillet fauteuil. Je m'y enfonce et ferme les yeux. J'essaie de me détendre quand des bribes de la scène d'horreur de la nuit du 21 me reviennent en tête. Immédiatement, je rouvre les yeux. Crispée, je ne m'étais pas rendu compte que je serrais les accoudoirs entre mes doigts.

Savage loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant