Chapitre 27 - Andrew

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       La bibliothèque, avec son odeur de vieux livres et de cire, est d'un calme oppressant. Un calme seulement interrompu par le son des pages que Juliette et moi tournons avec une concentration intense. Nous sommes là, assis côte à côte à une table en bois éraflée, plongés jusqu'au cou dans un amas d'archives poussiéreuses. Notre mission ? Fouiller le passé à la recherche d'indices sur les crimes de George Crowley. Un homme qui a semé la terreur trente-deux ans plus tôt avant de mettre fin à ses jours, laissant derrière lui une veuve et un fils encore en bas âge.

— C'est vraiment très étrange, annonce Juliette. Il y a des corrélations incroyables avec les crimes actuels.

— Tu penses que son fils pourrait être le meurtrier ? demandé-je. Ce serait trop simple, non ?

— L'hypothèse se tient, il doit avoir trente-quatre ans aujourd'hui. Il essaie peut-être de perpétuer une « tradition meurtrière ».

— C'est glauque, grimacé-je.

— Glauque mais pas impossible. Si c'est le cas, j'imagine que la police est sur le coup.

La bibliothécaire en plein rangement de romans s'intéresse à nos recherches. Elle se saisit d'un article de journal plastifié au titre évocateur : « Le briseur d'os de Cork ».

— L'histoire se répète, se lamente la femme élancée aux cheveux poivre et sel liés dans une queue-de-cheval basse.

— Vous viviez déjà ici à cette période ? l'interroge Juliette.

— Je suis née dans le comté de Cork que je n'aie jamais quitté.

Juliette se redresse sur son siège.

— Sauriez-vous si le fils de Georges Crowley est toujours dans le coin ?

— Vous connaissez la famille Crowley ? s'informe la libraire, curieuse. Je vois que l'affaire du tueur en série de Cork vous intéresse. Ne me dites pas que vous faites partie de ces gens avides d'hémoglobine et d'affaires sordides ? Vous, je vous ai déjà vu quelque part, me dit-elle suspicieuse.

Juliette souffle tandis que je reprends.

— Les dernières victimes de ce meurtrier sont des amies, annoncé-je avec gravité sans révéler mon identité.

La libraire pose sa main sur mon épaule qu'elle tapote. Elle ne cache pas sa désolation.

— Ces archives ne vous seront pas d'une grande utilité. Le fils Crowley est décédé il y a deux ans.

Nos espoirs d'une piste se heurtent à un mur. Les mots de l'employée sont aussi durs à entendre que ses yeux sont doux.

— Vous êtes encore jeunes. Profitez de la vie, mais restez toujours aux aguets. On ne sait pas qui rôde. Ce criminel qui sévit ne parviendra pas à éteindre l'espoir et la joie qui règnent à Cork. Prions pour que la police l'arrête rapidement, dit-elle en disparaissant dans une autre salle.

Je jette un regard discret à Juliette et je la vois lutter avec ses pensées. La déception l'assaille.

— Tu auras au moins eu le mérite d'essayer, déclaré-je lui volant un sourire triste.

— Je ne sais pas ce qui m'a pris. L'espace d'un instant, j'ai cru avoir un rôle à jouer dans la résolution de toute cette affaire. Ce que je vais te dire est dingue, mais je me sens liée à ces évènements.

— Oui, parce que tu as déjà vécu une situation presque similaire.

Elle repose un vieux journal, son geste trahissant un mélange de frustration et de résignation. Son soupir, brisant le silence studieux qui nous entoure, résonne douloureusement dans mes oreilles.

Sentant une lourdeur s'installer entre nous, une envie soudaine de rompre avec cette atmosphère morose me pousse à intervenir.

— Juliette, dis-je d'une voix basse pour ne pas perturber la quiétude du lieu. Nous ferions mieux d'y aller. Nous ne trouverons rien de plus. Et puis, je te sens déprimée ici. La police fera le travail d'enquête bien mieux que nous.

Elle lève les yeux vers moi.

— Tu dois me prendre pour une folle, se lamente-t-elle.

— Pas du tout ! Néanmoins...

— Néanmoins ? répète-t-elle en se mordant les lèvres.

Un geste que je trouve attendrissant et si sexy.

— À mon avis, tu as besoin de quitter Cork pendant un ou deux jours.

Elle tente de m'interrompre, mais je poursuis.

— Je sais qu'il y a le travail, mais tu es oppressée ici.

L'idée me vient alors de lui suggérer une échappatoire, un moyen de nous éloigner, ne serait-ce que temporairement, de cette chasse aux horreurs.

— L'un de mes sponsors va organiser un gala de charité à Dublin. Ça pourrait être sympa que tu m'accompagnes.

Juliette hésite.

— C'est une grosse période au travail. Je me suis déjà permise de quitter mon poste cet après-midi. La Toussaint se profile... je ne peux pas poser de congés avant début novembre.

— Parfait ! La soirée aura lieu le 3 novembre, assuré-je. Nous rentrerons le 4 au soir ou le 5.

Mon invitation est sincère, dans l'espoir de lui offrir un répit.

Son visage s'illumine d'un sourire signe que la proposition lui plaît.

— Ce serait vraiment bien, répond-elle un éclat nouveau dans les yeux.

Je contiens la joie qui m'anime pour ne pas faire mauvaise impression. Nos recherches sont tout sauf joyeuses.

— OK. Adjugé vendu. Clara t'enverra toutes les informations par mail, souris-je ravi de savoir que je passerai deux jours en compagnie de Juliette.

Juste elle et moi.

Nous rangeons les documents avec soin, notre interaction marquée par une complicité renouvelée.

En quittant la bibliothèque, le contraste entre l'obscurité de nos recherches et la lumière douce du crépuscule qui filtre à travers les fenêtres est frappant. Marchant à côté de Juliette, je sens une certaine légèreté dans l'air, une bouffée d'optimisme. Cette soirée de charité, loin d'être juste une distraction, représente une bouée de sauvetage.

— Est-ce que Scarlett sera de la partie ? me questionne Juliette.

Pour toute réponse, je lui prends la main. Nous dépassons la voiture et marchons sur une allée bétonnée qui nous mène aux ruines d'un château. Les pierres centenaires, marquées par le temps, s'effritent sous l'étreinte des lianes verdoyantes qui les enlacent. Des touffes de mousse tapissent les parois.

— À travers les fissures des murs écroulés, des fleurs sauvages éclosent, apportant une lueur d'espoir dans ce paysage désolé. Au loin, le murmure d'un ruisseau offre une touche mélancolique à cette symphonie de ruine et de renouveau. Oh, mon Irlande. Terre sauvage. Terre d'amour, sourit Juliette en cueillant une fleur.

Je m'immobilise et l'observe entrer en communion avec la nature. Je ne la connaissais pas si poétique et mélancolique.

— Je ne sais pas si Scarlett sera de la partie. Pour dire vrai, je m'en fiche.

Juliette se tourne.

Mon cœur bat la chamade alors que je m'approche d'elle. Les doux rayons du soleil caressent nos visages tandis que nos regards se cherchent avec une tendresse infinie. Le bourdonnement du vent et le chant des oiseaux se mêlent à notre émoi naissant. Nos regards se croisent, s'attardent, s'imprègnent de la magie de l'instant présent. Puis, comme par un accord tacite, je passe ma main dans ses cheveux qu'une brise soulève. Nos lèvres se rencontrent dans un baiser délicat et passionné qui perdure tant il est agréable. À cet instant, je me sens vivant... transporté dans un univers où le temps s'arrête et où seules comptent ces secondes de pur bonheur.

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