Chapitre 1

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Cork, Irlande

Deux ans plus tard, 1er octobre


La chance sourit aux audacieux


Huit heures sonnent.

J'entends le coq de mon père pousser la chansonnette dans le jardin. Je m'éveille avec la douce caresse des premiers rayons du soleil qui filtrent à travers les rideaux clairs et fins. Blarney, le petit village irlandais dans lequel je vis, se réveille en même temps que moi. Un murmure croissant de vie s'infiltre dans ma chambre. Les corbeaux entament leur mélodie matinale, créant une symphonie naturelle à laquelle j'ai fini par m'habituer au bout de trois ans. Leurs croassements comblent le silence qui a tendance à souvent m'effrayer. Je n'y peux rien. Souvent, la peur me tenaille.

Je m'étire lentement, chassant le sommeil qui persiste dans mes membres. Au bout de plusieurs secondes à fixer le plafond, je finis par me lever. À travers ma fenêtre, je constate que le ciel prend des teintes pastel, annonçant une journée prometteuse. Mon regard se perd ensuite en direction des arbres qui bordent la petite route devant la maison. J'aperçois les voisins, des retraités, vaquant à leurs occupations. Fidèles à leur rituel, ils sortent acheter le pain frais de la boulangerie française qui a établi ses quartiers à un kilomètre de là. C'est la promenade quotidienne du couple.

Je jette un coup d'œil à l'horloge murale qui affiche huit heures quinze.

C'est le moment de quitter mon cocon chaleureux. La perspective de rejoindre ma fleuristerie me motive particulièrement. C'est là-bas que je m'épanouis et que j'oublie éphémèrement les souffrances qui me tenaillent le cœur. Celles qui m'obligent à feindre que tout va bien alors que ce n'est pas le cas. Les démons qui me hantent sont là. Toujours là.

M'immobilisant au centre de la pièce, je prends une grande inspiration.

— Tu verras, tout va bien se passer, dis-je à haute voix, en serrant les poings, pour me donner du courage. Allez.

Je file sous la douche et je m'habille.

Une fois prête, je me tiens devant le miroir, ajustant mes longs cheveux bruns et ondulés en une queue-de-cheval décontractée. L'excitation parcourt mes veines quand je pense au contrat que la fleuristerie a déniché, la veille, avec la ville de Cork. C'est une consécration. Il y a trois ans, j'ai pris le risque de créer cette boutique en m'associant avec ma grand-mère, une femme dont la passion pour les fleurs rivalise avec la mienne. Ensemble, nous avons transformé un simple local du centre-ville de Cork en une boutique agréable, un endroit où chaque pétale raconte une histoire. Toutes mes économies y sont passées, mais je ne regrette rien. Cette boutique est mon havre de paix. Sans elle, je serais devenue folle.

Je traverse l'annexe dans laquelle je vis seule avant d'entrer dans la maison que mon père partage avec ma grand-mère. Quand il a su qu'elle et moi avions décidé de quitter le Canada pour l'Irlande, il lui a semblé naturel de nous suivre. Papa est très protecteur et les tragiques évènements qui m'ont touchée n'ont fait que renforcer son envie de garder un œil sur moi.

— Il y a quelqu'un ? demandé-je dans la cuisine où je me sers une tasse de café que j'avale en lisant le mot posé sur le frigo.

« Ton père et moi sommes partis au marché maritime. À ce soir, ma chérie. » Le mot est signé « Ta grand-mère qui t'aime. ».

— Moi aussi, je t'aime, mamie, murmuré-je un sourire aux lèvres.

Cette femme est un amour. Elle est une douce brise parfumée qui emporte le poids du quotidien parfois étouffant. Elle est ma bouée. Ma confidente. Celle qui m'écoute et me console lorsque le moral est au plus bas. Et ça, ça arrive souvent. Elle partage aussi mes joies et mes succès. C'est elle qui me retient quand je suis sur le point de tomber dans un gouffre sans fond. Si aujourd'hui, je suis encore debout, c'est en partie grâce à grand-mère, songé-je en effleurant le portrait de famille accroché dans le couloir.

Savage loveTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon