Chapitre 32

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Aylan

J'avais du mal à réaliser la tournure qu'avait pris les évènements. Comment exactement en étais-je arrivé là ? Ah oui, j'avais cru que le monde était juste, j'avais cru qu'épargner ces exilés était la meilleure option, que c'était l'option la plus humaine. Mais ils sont quand même morts au final, et avec eux presque l'intégralité de la famille Petit.

Et puis, il y a Maëlys.

Je n'arrivais toujours pas à croire que la fille que j'avais vu hier était la même que quelques mois auparavant. Celle qui avait un esprit au moins aussi aiguisé que sa langue. Celle qui s'endormait toujours sur son livre la lumière encore allumée au lieu de végéter devant son écran. Cette fille qui était capable de me transpercer de son regard de glace.

Au moins, Meera Primaria et moi étions d'accord : il fallait la sortir de là. Je n'avais pas réussi à sauver Fanette, il était absolument hors de question que Maëlys y passe aussi.

Hors de question.

J'entrais dans l'auditorium de la légion. On m'avait convoqué pour une réunion exceptionnelle de bon matin, et vu l'agitation, j'étais loin d'être le seul. Tous les corps de la légion étaient présents. De l'unité d'élite dont je faisais partie, à la sécurité dirigée par Naël, et même les protecteurs, qu'on ne voyait jamais d'habitude, avaient répondu présent. Instinctivement, toute mon unité s'était groupée. Après trois mois dans la zone, certains liens se crée j'imagine.

— Ça n'augure rien de bon, déclara Aïcham lorsque je m'asseyais à côté de lui au deuxième rang.

Je n'étais pas là depuis longtemps, mais j'arrivais à sentir l'inquiétude qui se répandait dans la salle. Les légionnaires n'étaient plus les joyeux lurons habituels, les poignées de mains était un peu trop ferventes, les rires un peu trop forts.

— Nous allons commencer, tonna la voix de Joseph Primaria lorsqu'il entra.

Tous s'assirent dans des bruissements de tissus. Les trois chefs de régiment furent les seuls à rester debout autour de la table circulaire contenant la carte de la ville. Naël avait l'air grave, je ne le connaissais pas depuis si longtemps, mais je trouvais qui ne lui ressemblait guère.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins, vous vous doutez que la situation est grave. Nous avons eu vent de mouvements du côté de l'Empire d'Asie, il semblerait que des navires armés soient en train d'approcher de nos côtes. Pour l'instant ils ne font que longer la côte ibérique et ne font pas mine d'accoster. Nous pensons qu'ils se dirigent plutôt par ici mais leurs intentons restent inconnues.

Joseph Primaria fit signe au chef de la protection de continuer.

— En effet, expliqua-t-il de sa voix bourrue, dans le pire des cas l'Empire ne cherchera pas seulement à s'approprier nos fermes mais aussi nos villes. Ils pourraient vouloir nous asservir pour profiter de nos ressources.

Il se racla la gorge et pointa du doigt sur la carte qui s'était modifiée pour montrer l'ensemble de l'Europe et plus seulement Paris.

— Maintenant, ils auraient pu commencer par la région Ibérique mais ils ne l'ont pas fait. Cela reste un mystère pour nous. L'armée a essayé d'entrer en contact avec eux sans succès, nous devons donc nous préparer au pire.

Il se gratta la barbe. Naël, qui s'était penché comme les autres chef sur la carte se redressait :

— Il y a aussi la possibilité qu'ils veuillent faire d'une pierre deux coups : Paris puis Berlin dans la foulée.

— En effet, intervint le général Primaria. Nous pourrions tergiverser là-dessus des heures sans avoir la réponse. Maintenant, nous devons discuter du plan d'action.

Puis il se tourna vers l'auditorium :

— Les missions dans la zone hors protection des ressources sont suspendues jusqu'à nouvel ordre. Les groupes de garde agriculturale seront notifiés d'abandonner leur poste immédiatement si l'ennemi s'approche trop près. Ils seront nos yeux et nous indiqueront l'état d'avancement des troupes Asiatiques s'ils se décident à débarquer sur les côtes de l'Atlantique.

Et les fermiers ? me demandais-je mais la question restait bloquée dans ma gorge. J'avais beaucoup trop peur de connaître la réponse.

Le chef de la protection, le roux aux yeux couleur fauve dont je ne connaissais toujours pas le nom, repris la parole :

— Nous devons nous préparer à défendre la cité ainsi que la ville et nous aurons besoin du maximum d'effectif pour cela. Dans les prochains jours, vous aurez tous des formations sur ce dont vous manquez. Par exemple les membres de l'unité d'élite seront formés à la sécurité et à la protection. Ainsi, il serait plus aisé de s'organiser si nous devions faire face à l'ennemi ici même ou à la ville. Nous devrons faire front ensemble si cela arrive jusque-là.

Je hochais légèrement la tête tandis que divers autres légionnaires acquiescèrent.

— Vous recevrez un emploi du temps personnalisé pour vos lacunes. Des questions ? finalisa Primaria.

La main d'Aicham fendit l'air.

— Pourquoi ne pas les attendre près de la côte ? Avec les grands espaces, une bataille fera moins de victime que s'ils s'infiltrent ici ou dans la ville. Il n'y a que très peu de civiles dans la zone.

Primaria fit une moue appréciative.

— Il y aurait potentiellement moins de victimes collatérales en effet, mais la cité et la ville sont beaucoup plus simples à défendre qu'une étendue de champs. Nous n'avons aucune information sur le nombre de soldat que ces bateaux transportent. L'Empire d'Asie reste le pays le plus peuplé du monde à ce jour, s'ils envoient toute leur armée, nous ne pourrons pas tenir le front dans un champ.

— Pourquoi ne pas demander de l'aide aux autres régions ?

— Les autres régions sont en état d'alerte également, mais tant qu'ils n'accostent pas, nous ne pouvons pas nous permettre de déplacer nos troupes à l'aveugle.

— Donc rester enfermé entre nos murs et laisser mourir tous les fermiers travaillant dur pour nous nourrir, c'est ça le plan ?

Je haussais les sourcils. Je n'aurais pas cru qu'Aïcham était du style à remettre en question l'autorité d'un supérieur. Le général serra la mâchoire avant de répondre.

— Les fermiers sont protégés par les unités d'élite et le resteront. Vous aurez pour ordre de ramener les civiles avec eux dès que l'Empire montrera le bout de son nez.

— Et où seront hébergés ces civiles ?

— Ici à la cité, ils pourront intégrer les rangs des repentis en attendant que la situation revienne à la normale.

— Pourquoi pas à la ville ?

Primaria ne répondit pas du tac au tac cette fois et lançait un regard noir à Aïcham. Moi, je regardais cet échange tel un match de ping-pong. Je n'aurais jamais osé parler comme cela au général, mais je réalisais qu'ils venaient tous deux de la même famille majeure. Ils pourraient potentiellement être des parents proches.

— Sergent Primaria, vous savez tout comme moi qu'aucun normalien ayant mis un pied dans la zone ne peut réintégrer dans la ville.

Les questions continuèrent, toutes plus légitimes les unes que les autres à mes yeux. Mais le général les contredit toutes sans exception. À quoi cela servait-il de poser des questions si le chef de légionnaires pensait avoir déjà pensé à tout ?

La réunion fut interminable et au bout d'un moment mon esprit commençait à divaguer. Au moins, j'allais rester à la cité jusqu'à nouvel ordre, je pourrais veiller sur Maëlys et trouver une solution.

Les PriméensWhere stories live. Discover now