Chapitre 27

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Maëlys

Anabelle m'attendait pour discuter de mon évolution. J'aimais bien ce mot : évolution. Cela sous entendait que j'allais passer à l'étape supérieur. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de me sentir méfiante. Je ne devais plus accepter n'importe quoi les yeux fermés. Après-tout, ils avaient tué Lou, probablement sans faire exprès, mais quand même ! Tuer un Priméen n'est vraiment pas un acte aisé en général, nous sommes plutôt tenaces.

A ma connaissance, dans ce que j'avais lu dans les livres, il n'y avait que deux façons de nous tuer : la décapitation totale et l'amputation d'un élément essentiel à la vie du corps tel que le cœur, le cerveau, les deux poumons simultanément, les deux reins, etc... Cela semblait logique, mais un frisson me parcouru quand je me remémorais un détail : le livre disait que tout cela avait été vérifié expérimentalement. Je crois que je commençais à comprendre comment et cela me fit frissonner.

J'arrivais devant le bureau d'Anabelle qu'elle partageais avec une dizaine d'autres chercheurs. Bien évidemment, la porte ne s'ouvrait qu'avec une carte d'accès que les sujets ne pouvaient pas avoir. Je frappais sur la porte de verre et la tête d'Anabelle apparu derrière une des cloisons délimitant l'open space. Elle me rejoignit sans attendre.

— Suis-moi, dit-elle en me dépassant en sens inverse.

Je la suivis, sa blouse blanche flottait dans le couloir devant moi. Nous entrâmes dans une salle quelques pas plus loin où se trouvaient une table et six chaises.

Une fois que nous fumes assises, Anabelle pianota quelques secondes sur sa tablette avant de me regarder dans les yeux et de joindre ses mains sur la table.

— Maëlys, commença-t-elle d'un ton neutre, ton dossier est exemplaire. Tu es à ce jour le sujet le plus intéressant de la cité.

Je pris les compliments avec fierté et ne pus m'empêcher de poser la question qui me taraude :

— Comment avance l'article ?

Anabelle me sourit doucement.

— C'est la Dr. Denoyette en personne qui s'en occupe, elle devrait le savoir mieux que moi.

Je fus un peu déçue, je n'avais pas vu la directrice du département depuis plusieurs semaines. J'avais depuis longtemps fini le dernier livre qu'elle m'avait prêté sur l'amputation, et j'aurais aimé lui en demander un autre mais elle était introuvable. Ou alors, peut-être qu'elle m'évitait.

Anabelle tapota sur la tablette avant de continuer :

— Bon, Maëlys, je ne t'apprends rien en te disant que ton don de régénération est absolument hors du commun. Personne avant toi n'a jamais fait repousser d'extrémités.

Je hochais la tête gravement. Cette capacité, c'était presque de la magie pour moi. Cela n'aurait pas dû être possible, et pourtant...

— C'est pour cela que je pense, et Mme Denoyet est d'accord avec moi, que nous devrions passer à l'étape supérieure : expérimenter sur ta régénération d'organes internes. Evidemment, nous pensons commencer par un organe non crucial à ton développement, nous avons pensé à un rein.

— Un rein ?

Comment-ça un rein ? Allaient-ils couper un bout pour voir si ça repoussait comme le petit doigt ?

— Oui, nous procéderions à une néphrectomie, c'est-à-dire à l'ablation totale d'un de tes reins. Nous monitorions ensuite ta régénération, si elle a lieu. Ce serait absolument extraordinaire si tel était le cas, tu peux être sûre que la directrice voudra écrire un second article ! Et même si ce n'était pas le cas, ce rein sera transféré à la banque d'organes de l'Europe et pourrait sauver une vie.

Les paroles de Lou lui revinrent en mémoire : Tu y passeras un jour, comme nous tous. Nous, les rats de laboratoire. Elle aussi avait donné un rein juste avant Noël. Et les choses n'avaient fait qu'empirer depuis. Je voulais aider la science, mais je ne voulais pas mourir sur la table d'opération.

— Et si je refuse ? demandais-je en sentant mon cœur s'affoler.

Anabelle clignait des yeux.

— Qu'est-ce qui te ferai refuser ?

Oh je ne sais pas, le fait de perdre un rein sans aucune garantie qu'il va repousser, le fait que je n'ai aucune idée s'il sera vraiment utile à un normalien et vous non plus, le fait qu'il faudra le faire sous anesthésie générale dont je pourrais très bien ne jamais me réveiller...

Mais aucune de ces pensées ne passa mes lèvres.

Anabelle se raclait la gorge.

— Je comprends. C'est une opération avec plus de risque qu'à l'accoutumé, mais je t'assure que nous avons des chirurgiens et des anesthésistes hautement qualifiés qui ont déjà fait des centaines d'opération de ce genre. Tu ne coures aucun risque.

— Tellement qualifié que Lou est morte sur la table d'opération ?

Cette dernière phrase était sortie avec un tel poison de ma bouche que la chercheuse parue décontenancé.

— Ce qui est arrivé à ta colocataire est regrettable bien évidemment, mais...

— Ça pourrait m'arriver à cette opération-ci aussi ! m'exclamais-je.

Anabelle prit une grande inspiration puis posa lentement sa main sur une des miennes.

— Maëlys, je t'assure que tu n'as aucune raison de t'inquiéter.

— Au contraire ! J'ai toutes les raisons de m'inquiéter !

Je pétais un plomb. Mes pensées passaient mes lèvres sans mon accord. Un barrage céda en moi et le sentiment inconfortable qui dominait depuis quelques semaines se fit plus clair : un mélange de colère et de peur.

— Je ne veux pas faire cette opération ! Trouvez un autre test qui ne requiert pas de m'endormir ni de m'ôter d'un organe !

— On vit très bien avec un seul rein...

— Je m'en fous ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas d'anesthésie générale, c'est clair ?

Anabelle fronça ses sourcils blonds et m'observa comme si je l'avais trahie. J'étais essoufflée comme un buffle d'avoir hurlé à la mort et l'adrénaline enserrait ma poitrine. Je fus si surprise de ma propre réaction extrême que je ne vis pas la chercheuse sortir une seringue de sa poche et me la planter dans le cou.

Les PriméensWhere stories live. Discover now