Chapitre 4 [réécrit]

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Aylan

C'était le grand jour.

Un taxi m'attendait pour m'emmener au test ADN-18, je le voyais depuis le petit balcon du salon alors que je prenais une bouffée d'air. Mon être tout entier était tendu et si je continuais à hésiter j'allais rester pétrifié sur place. On sait tous ce qu'il se passe pour les gens qui ne se présentent pas à leur test... et me faire exiler ne me tentait pas du tout.

Malgré la peur qui s'insinuait lentement dans mes entrailles, je me dirigeais vers l'entrée de notre appartement, vers une nouvelle vie, quelle qu'elle soit.

— Aylan, m'appelait une petite voix alors que j'étais sur le point d'entrer dans le sas de décontamination.

Samira se tenait là en robe de chambre, décoiffée et les yeux cernés du noir de son maquillage qui avait coulé. Elle me tendit une enveloppe sans un mot, mais en accrochant son regard au mien, du bleu caractéristique de notre lignée. Avec un hochement de la tête, elle déposa quelque chose dans ma main avant de retourner se terrer dans sa chambre. Ma sœur n'était clairement pas du matin, c'était un exploit et une véritable marque d'amour qu'elle se soit levée si tôt pour me voir une dernière fois.

Je baissais mon regard sur la lettre entre mes mains.

À n'ouvrir que lorsque tu seras à la cité priméenne.

Étrange. Ça ne ressemblait pas à ma sœur d'écrire des lettres papier comme à l'ère ancienne. Mais je n'avais pas le temps de m'appesantir là-dessus, et la fourrais dans la poche de mon jean avant d'enfiler ma veste à capuche et mon masque qui avaient été aseptisés dans mon compartiment du sas. J'enlevais mon téléphone de ma poche et la montre de mon poignet, car si j'étais priméen, je ne pourrais pas les garder de toute façon. Je les observais un instant là, posés dans mon compartiment. Mes réseaux sociaux, mes amis, mes statistiques d'entraînement, ma vie toute entière tenait dans ces appareils. C'est peut-être cela qui allait le plus me manquer ?

En refermant la porte d'entrée derrière moi, un petit pincement au cœur me prit. C'était peut-être la dernière fois que je voyais l'endroit où j'avais grandi. Non, j'espérais que ce serait la dernière fois. Je pris l'ascenseur et alors que les portes se refermaient, je jetais un dernier coup d'œil à notre couloir et notre porte tout au bout, comme en essayant de graver cette vue dans ma mémoire.

On roulait dans les rues presque désertes de Paris, seules quelques autres voitures, noires elles aussi, se dirigeaient dans la même direction. On était samedi, jour de week-end, c'était donc normal qu'il n'y ait personne dans les rues. Sortir de chez soi pour autre chose que travailler ou faire les courses était fortement déconseillé par le ministère de la Santé.

Le chauffeur ne m'adressa pas la parole une seule fois. Pas étonnant pour un militaire. En même temps, ça ne doit guère l'enchanter de conduire un adolescent à son test et de devoir attendre sur place pour savoir s'il doit ramener ledit ado ou non. C'était un luxe que tous les enfants des familles majeures se voyaient offerts pour se rendre au ministère de la Santé en ce jour fatidique. Ce n'était clairement pas le cas de la masse de jeunes que je voyais sortir des navettes du métropolitain au loin alors que nous nous rapprochions. J'aurais bien aimé le prendre au moins une fois, mais je n'en avais jamais eu l'occasion. Enfin, on ne m'en avait pas laissé l'occasion, car cela représentait trop de risques.

Je descendais de la voiture lorsqu'elle s'arrêta sur l'aire d'attente. Le chauffeur en costume noir me fit seulement un hochement de tête presque imperceptible avant de refermer la portière de la voiture derrière moi. La grande place sur laquelle se tenait le ministère de la Santé était complètement faite de pierres ocre qui rappelaient les vieux bâtiments conservés ici et là dans la ville entre deux gratte-ciels qui, eux, étaient habituellement entièrement de verre. J'avais entendu dire qu'avant il y avait de magnifiques jardins ici, mais cela faisait bien longtemps que les jardins étaient rares à Paris. Probablement depuis l'ère ancienne.

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