CHAPITRE 52

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Gabriel

Son poignet sous mes yeux, j'essaye tant bien que mal de relier les fils entre eux, bien qu'ils soient emmêlés.

- Tu vois ce que je veux dire ? Me crie t-elle alors que mes pupilles se dilatent.

Peinant à déglutir, je secoue la tête pour lui indiquer ma réponse.

Elle ne se rend pas compte que depuis le début de notre discussion, elle me crie dessus. Je ne comprend presque pas ce qu'il se passe avec ce monsieur, mais je fais tout comme.

J'ai l'impression que si je lui avoue que je ne vois pas de rapport, elle va m'en mettre une. Et des gifles, j'en ai marre d'en recevoir.

Elle recule encore une fois de moi et du canapé, en manquant de près de tomber encore une fois en arrière. Par réflexe, je la retiens par le poignet contenant son tatouage, et c'est à cet instant précis que je me rappelle enfin ce qu'elle m'avait dit :

- Ton père t'avait offert des lunettes.. Soufflé-je pour me remémorer la discussion qu'on avait échangés à nos débuts.

- Putain, soupire t-elle. Oui.

Son petit corps se pose subitement par terre, et je la fixe.

- Tu.. Bordel.. Comment c'est possible ?

- Je ne sais pas, affirme t-elle en appuyant sa tête contre ses mains. Il lui ressemble... Un peu. Surtout par la description que tu m'a faite..

Je la regarde toujours, mais elle, elle s'appuie sur le sol.

- Ce n'est pas possible, dis-je pour trouver une explication rationnelle. Seona, c'est peut-être juste une coïncidence !

Je me suis rapproché de son corps et ne suis qu'à quelques centimètres d'elle pour m'accroupir en face.

- Non ! S'agace t-elle. Non, je te promets sur tout ce que j'ai, que ce n'est pas une putain de coïncidence.

Je garde le silence, et m'agenouille quand même à ses côtés.

- Explique-moi ce qu'il faisait, tout.. Je veux tout savoir.

Sa phrase paraît tellement détachée, comme si elle ne croyait pas elle-même en ce qu'elle raconte. Si sa bouche dit que ce n'est pas un hasard, son esprit semble prétendre le contraire.

- Écoute-moi. Il est arrivé même pas deux minutes après que je t'ai déposée. J'ai attendu dans la salle, et il est apparu soudainement. Je n'ai pas prêté attention à lui, j'étais sur mon téléphone..

Je m'arrête tout seul, de peur qu'elle essaye de savoir pourquoi, mais elle semble intéressée seulement par cette histoire. Alors je reprend :

- Et puis, je l'ai entendu déplier un journal. Et c'est à ce moment là que je l'ai regardé. Je ne voyais même pas son visage, à part cette cicatrice sur sa joue, et son chapeau et.. Tout ce que j'ai dessiné. C'est parfaitement ce que j'ai vu de lui.

Elle attend toujours que je parle, alors je continue, et lui déballe tout ce dont je me souviens :

- Quand le médecin est venu nous chercher après des heures, il a dit ton prénom. Je ne me souviens pas qu'il est réagi.. Et puis, je me suis endormi après t'avoir enfin retrouvé.

Je respire un bon coup.

- Le lendemain, quand je suis parti me dégourdir les jambes.. Tu t'en souviens ?

- Oui, lâche t-elle directement.

- Il était encore là. Au même endroit, avec les mêmes vêtements, le même chapeau rouge.. Avec son journal cachant sa tête..

Je fais une vraie pause, car à vrai dire, je n'ai rien d'autre à rajouter. Cette histoire me rend fou.

- C'était mon père.

Sa voix m'a fait tressaillir, et m'incite à me relever pour arriver à sa hauteur.

- T'en ai sûre ? Certaine ?

Elle hoche la tête, et moi, je ne sais même pas quoi penser. Est ce qu'elle devient folle, elle aussi ?

Comment peut-elle avoir la certitude que cet homme était son père, l'homme qui m'a privé d'une jambe et celles de ma sœur, seulement avec comme seul indice, un papillon sur une montre ?

Ce détail est clairement minime, pas assez convaincant. Il m'en faut plus.

- Et si nous allions à l'accueil de l'hôpital ? Lui proposé-je pendant qu'elle examine le fond de mes yeux. Ils doivent bien l'avoir vu, savoir quelque chose..

- Oui ! S'excite t-elle. Allons-y !

- Attend, la rattrapé-je par l'épaule.

- Quoi ?

- Pas maintenant, demain.

- Tu crois vraiment que je vais avoir la patience d'attendre jusqu'à demain ?

Elle m'énerve à être aussi têtue, mais qu'est ce que j'aime quand elle s'affirme de la sorte.

- Seona..

Je joue avec ses mains, mais elle ne semble pas le vouloir.

Je le comprend.

- On ne peut pas y aller ce soir.

Ma tête se tourne pour pouvoir surveiller l'heure indiqué sur le four.

- Il est 23h30, tu as pris tes médicaments.

- Oui, mais je..

- Qui vont te fatiguer, ou te rendre malade.

Elle ne renchérit pas, et j'aime qu'elle m'écoute.

Quand bien même tout ce qu'elle m'a raconté est vrai, je ne veux pas prendre le risque qu'elle s'use la santé.

- Je te promets que demain matin, je te réveille, et on s'en occupe. Mais là, tu es trop crevée.

Elle soupire.

- Je ne vais jamais réussir à dormir.. ça me fait trop cogiter, putain..

Je l'imagine bien. Et à sa place, je serai déjà partie sur le champs. Mais elle, c'est un verre. Un verre dont on doit prendre soin, qu'on se doit pas s'amuser à casser, car tout ce qu'il reste dessus, ce n'est qu'un morceau. Un seul morceau qui nous permets de voir que c'est un verre. Et je ne veux pas le faire disparaître.

- Je serai là.

Spontanément, mes doigts reprennent leurs place initiales et viennent s'installer au creux de la joue de Seona. Mon pouce s'agite sur sa peau douce et froide, ce qui me prouve que je fais bien de ne pas la suivre dans ses folies tout de suite.

Doucement, nos corps se ramènent dans mon ancienne chambre.

Je la laisse se coucher dans mon lit, devenu le sien, et l'emmitoufle dans les draps. Une fois bien allongée, je caresse son front frais et dépose un baiser dessus.

Je suis surpris qu'elle ne force pas plus que ça pour avoir les informations sur l'homme, mais je pense que les médicaments ont pris le dessus sur ses pensées. Ce n'est pas plus mal, ça m'arrange.

J'allume la petite lampe sur la table de chevet, branche son téléphone sur le secteur et la contemple.

Elle ne ferme pas les yeux, comme si elle luttait pour ne pas s'endormir. Comme si le démon avait pris possession de son esprit, refusant de laisser l'ange l'aider à passer une bonne nuit.

Je prend la décision de reculer petit à petit, même si elle me fixe, et arrive à la porte.

- Reste, m'implore t-elle quand j'allais actionner la poignée.

Et contrairement à la fois où elle m'avait presque supplier de la même manière lors de sa première soirée au Club avec ma meilleure amie, j'accepte ce qu'elle me demande.

Parce que la première fois qu'elle m'avait demandé ça, je la détestait. Mais maintenant, je pourrais faire tout ce qu'elle me demanderait de lui faire. Car je l'aime, de tout mon être.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant