CHAPITRE 1

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Mon père m'a toujours dit : « Ma fille, peu importe le chemin qui s'ouvrira à toi, je suis sûr que ce sera le bon. ». Mais malheureusement, ce n'est pas moi qui l'ai choisi.

Cela doit faire au moins deux heures que je me balade dans les rues, sans vraiment savoir où je suis censé me rendre. Il faut que je m'estime heureuse, car mes valises ne sont pas lourdes. Je les traîne de chaque bras, sans forcer. En même temps, je n'avais presque plus d'affaires chez ma mère. Quand je m'achetais quelque chose, je pouvais être sûre que le lendemain ça aurai disparu, caché dans un de ses tiroirs ou bien vendu, par je ne sais quel biais. Alors la solution était radicale : je n'achetais plus rien. Si mon père voyait tout ça, je pense qu'il me dirais que je devrais partir dès que je recevrais ma première paye. Bosser dans un magasin de cosmétiques comme vendeuse ne me rapportera qu'un Smic, mais c'est suffisant pour sortir des griffes de ce qui me sert de mère. J'y travaille depuis le début du mois, et pourtant, c'est vrai que je ne me vois pas sauté le pas. Je crois que cette maison me rappelle trop mon père, nos souvenirs, ses rires, sa voix. Mais voilà, cette maison, maintenant, je ne la reverrais plus. Et si je pensais que ça me rendrait nostalgique, bizarrement, ça me fais plus de bien qu'autre chose. Je suis enfin tranquille. Seule, triste, mais tranquille.

Mon téléphone m'indique qu'il est déjà 20h. Mon ventre commencent à gargouiller et ma bouche devient pâteuse. Je sais qu'il y a un Mcdonald's à deux pas, alors je vais m'y arrêter. Et comme ça, je vais pouvoir y recharger mon portable. Les gens que je croise me regarde d'un air perplexe, avec mes valises et ma sale gueule, probablement rouge de colère et de larmes noires qui ont coulé en y emportant mon mascara. C'est censé être un waterproof.. Je ne l'utiliserai plus.
Je me maquille au travail tout les matins, alors du choix, il y en a.
J'en essaierai un autre.
Mon super débardeur et ma jupe noire me donne incroyablement chaud. Nous sommes en plein mois de juin, et le soleil tape déjà sur mes tempes. J'espère que ma mère a pensé à mettre mes lunettes de soleil dans une des valises, car c'était celles que mon père m'avait offert pour mes 20 ans. Des belles Ray-Ban, avec un petit papillon dessiné à l'intérieur. C'est le dernier cadeau qu'il a pu me faire. Et d'ailleurs, après sa mort, je me suis tatouée ce papillon sur le poignet. Comme ça, il est toujours avec moi, en quelque sorte.

Je m'arrête enfin au fast-food, commande et m'assoie à une table. Je branche mon téléphone et hésite un instant à prévenir mon cousin. Adam est le seul qui ne m'a jamais rien refusé, et le seul que j'aime dans cette famille de tordus. Mais je me ravise à ne pas l'appeler. Je sais qu'il serai capable d'aller pourrir ma mère, et clairement, même si c'est ce qu'elle mérite, je ne veux plus jamais entendre parler d'elle.
C'est fini maintenant.
Le serveur me ramène mon plateau, et je me goinfre littéralement. Je n'ai presque pas mangé ce midi et je dois avouer que si je ne mange pas assez ce soir, demain matin je vais devoir me rendre au boulot avec un ventre qui criera famine. Autant me devancer.

Après mon repas, qui c'est vrai, m'a bien calée, je repars accompagnée de mes deux nouvelles copines : les valises. Je les aime bien, mais ça devient encombrant quand je marche sur un trottoir et que les gens qui arrivent d'en face ne se décalent pas.

Mon portable a eu le temps de recharger à 85 %, de quoi tenir jusqu'à au moins demain, même si de toute façon, je le rechargerais au boulot. Je ne sais pas comment je fais pour ne pas perdre la face, mais je crois que j'ai tellement l'habitude que j'ai limite l'impression que ce je vis est normal. Car non, en vérité je ne vis pas, je subis.

Il faut que je me trouve un endroit où dormir cette nuit. Encore une fois, le prénom d'Adam me revient en tête. Mais c'est non. Il est hors de question qu'il sache ce qu'il m'arrive. Je me décide finalement à m'enfoncer plus loin de la ville. Loin de la mer, de l'odeur des restaurants et des petits qui réclament des glaces à leurs parents. En passant dans les ruelles, je ne peux pas m'empêcher de repenser à ma mère, et à sa tête quand elle a vu la mienne neutre, vide, et un peu trop calme quand j'ai compris ce que faisaient mes affaires sur la palier de la porte. Elle croyait que j'allais lui hurler dessus, ou même lui cracher à la gueule ? Mais même pas. J'ai simplement pris ce qui m'appartenais, j'ai tourné la tête et j'ai marché. Sans un regard en arrière. C'est comme si au fond de moi, j'avais attendu ce moment depuis toujours. Qu'elle me vire de chez elle. Je ne cache pas qu'après avoir atteint le bout de la rue, j'ai pleuré de toute mes forces. Le pire, ce n'est pas de pleurer de tristesse, mais de nerfs. Ces nerfs qui me brûlent vifs de l'intérieur, qui bousillent mon esprit à chaque instant. Et mon cœur qui se sert, chaque fois que je pense à mon père et à tout ce qu'il a subi. La vie est parfois trop injuste, quand on espère simplement que le karma fera bien les choses et qu'on se rend compte après des jours, des mois, et des années, que le karma n'existe que grâce à nos espoirs. Mais comment croire en cet espoir, quand même lui ne croit pas en lui ?

J'essuie une larme de mes pommettes quand le couché de soleil orangé m'ordonne de trouver rapidement un endroit dans lequel je vais pouvoir passer la nuit. Je ne dormirais pas sur un banc dehors, c'est trop dangereux. Je sais ce que c'est d'être une femme dans notre époque, donc il me faut un endroit assez reculé, et si possible protégé. C'est en cherchant autour de moi que mes yeux s'attardent instantanément sur un homme. Il est grand, en survêtement noir, avec une casquette Dickies rouge. Il marche en direction d'un immeuble, tenant dans sa main un sachet en plastique. Je pense que son repas repose là dedans, donc il doit être un homme pressé de manger. Il faut que je l'atteigne le plus vite possible, et qu'ensuite je le laisse taper son code pour pouvoir me faufiler dans son immeuble. Je peux dormir dans la cage d'escalier, ce sera toujours plus rassurant que de rester dehors.

Ni une ni deux, j'atteins le mec à la casquette. Il a sûrement entendus les roulettes de mes copines pour qu'il se retourne tout à coup. Son regard croise alors le mien, et je ne saurais pas dire pourquoi, mais je reste figée. Lui aussi me fixe, mais détourne vite les yeux :

- Allez-y, tapez le code, me propose t-il.

- Euh.. Non en fait, je viens voir une amie, raconté-je en bafouillant. Je ne connais pas le code.

Il semble perplexe. Je ne sais pas s'il m'a cru, et je m'en fous. Ce ne sont pas ses beaux yeux qui vont me lancé un sort de vérité. Je remarque d'ailleurs qu'ils vacillent entre moi et mes valises. Qu'est ce qu'il crois ? Que je suis à la rue et que je suis complètement pommée ? Car si c'est ce qu'il pense, il a totalement raison. Le sourcil relevé, il soupire un peu et tape finalement son code. Je crie victoire et pénètre derrière lui dans le hall. Il y a un ascenseur, et des escaliers. Il emprunte l'ascenseur, et je crois qu'il attend que je le suive. Je n'ai pas le temps de réfléchir, donc je lui explique.

- J'ai deux valises, on ne tiendra pas tous là dedans.

Il enlève sa casquette, et je devine plus facilement les traits de son visage.

- Sûr ? Me demande t-il.

- Oui, je le prendrai après vous.

Ils parcourent mon corps de son regard et je me sens intimidée. Je fais de même, et me rend compte que son visage me dit quelque chose. Je ne sais pas d'où, mais je jurerais l'avoir déjà vu quelque part. L'homme s'apprête à ouvrir la bouche, quand les portes de l'ascenseur se ferment.

Je ne sais pas comment j'ai fais pour être là, mais je le suis. Et j'en suis bien contente.

À la nuit tombée Where stories live. Discover now