CHAPITRE 76

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Gabriel

Je suis en putain de stress.
Seona est entrée dans le commissariat il y a de ça 30 minutes, et je trouve ça excessivement long. Nous pensons tous les deux qu'il s'agira de plaider en ma cause, mais pourquoi je n'ai pas été convoqué, dans ce cas là ? Peut-être que les flics attendent plus de preuves, et qu'ils peinent à croire en la théorie de Marie. En tout cas, je suis en nage dans l'habitacle.

Je sais que je ne devrais pas y penser, mais, si je suis condamné, je ne sais pas combien d'années de prison je vais devoir faire. Putain, je pars trop loin. Mais on sait jamais, et je suis perdu.
Bordel.

J'ai envie d'appeler ma meilleure amie, que j'ai laissé en plan la dernière fois. Si les choses doivent mal tourner pour moi, je dois profiter de mes derniers instants pour lui parler.
Quand je tape sur le petit logo du téléphone sur son contact, ça sonne 3 fois avant qu'elle décroche :

- Oui ?

- C'est moi, je préviens comme si elle ne l'avait pas déjà remarqué. Je ne sais pas si j'ai beaucoup de temps, alors on va faire vite, ok ?

- Oula, rigole t-elle presque. Doucement Rambo, qu'est ce qu'il t'arrive ?

- Ta mère, elle t'a dit ? Je demande. Elle t'a expliqué qui était son nouveau mec ?

- Oui, elle souffle. Je sais tout.

- Raconte-moi ce que ça te fais, je ne lui laisse pas le choix. Dis-moi comment tu sens.

Un petit silence fait trembler l'atmosphère dans mon portable, avant qu'elle reprenne ses esprits :

- J'étais mal, vraiment. Quand j'ai appris que c'était le père de Seona, je l'ai encore plus mal pris.. Mais je crois qu'il faut que je l'accepte. Mon père est mort il y a pas si longtemps que ça, mais si ma mère arrive à aimer quelqu'un d'autre, je ne peux pas lui en empêcher.

Je sais ce qu'elle pense de l'amour, alors ça me fait extrêmement plaisir qu'elle tienne ce discours.

- Tu le penses vraiment ?

- Oui, soupire t-elle immédiatement. Ce n'est pas parce que moi je n'arrive pas à avancer que les autres doivent aussi ressentir la même chose.

Je souris presque, quand je l'entends susurrer :

- Et c'est vous qui me l'avez appris.

Mon coeur se compresse, puis j'ose lui demander :

- Tao sera toujours dans ton coeur.

Elle renifle directement, mais je ne l'entends pas pleurer au point de sangloter à chaudes larmes. Ce sont des petites averses qui doivent défiler sur ses joues lentement, comme une vague sur le sable un soir d'été.
Le pire, c'est qu'à la base, on ne parlait que de sa mère. Mais lui rappeler son premier amour était pour moi totalement logique : car elle faisait allusion à lui, et ça, j'en suis certain.

- Je sais, elle lâche enfin.

- Tu as été sur sa tombe récemment ? Je l'interroge encore.

C'est tellement rare et inhabituel qu'elle accepte de me parler de lui que j'en profite. La première fois qu'elle a abordé ce sujet, j'ai gardé la face devant elle, et j'ai pleuré en rentrant chez moi le soir. Je venais de la rencontrer, elle était aussi souriante et extravertie qu'aujourd'hui, et c'était presque inconcevable pour moi qu'elle aie vécue cette horreur. L'horreur d'être amoureuse de quelqu'un de tout son être, et que cet être se suicide le soir de Noël parce qu'il voit ses parents se déchirer sous ses yeux tout les jours, en pensant qu'il est le coupable de cette cassure.

- Comme tout les dimanches, me rappelle t-elle.

- Il serait fier de celle que tu deviens, je lui jure presque.

On ne se fait jamais de compliments elle et moi, pourtant, moi, je ne lui trouve aucun défaut. Se les dire est trop intime, alors que cette discussion est en train de tourner en déclaration d'amitié l'un envers l'autre. Je la considère comme une soeur, une deuxième soeur que la vie a oublié de me donner.

- Je vous aime fort, précise t-elle.

Je sais qu'elle m'inclut avec Seona, et ça a le don de me redonner le plus grand des sourires.

- Bon, elle se ravise après trop de mots cités qui ne lui ressemblent pas. Pourquoi tu m'as appelé toi, à la base ?

Revenons-on aux faits, oui.

- Pour que tu saches que je serai toujours là, je me contente de prévenir.

Elle se tait, puis raille un rire.

- C'est tout ?

- Je crois.

- T'es dans tes humeurs de lover toi, elle ricane encore.

Parce que j'ai peur et que c'est peut-être les derniers mots que je vais te sortir de ma propre bouche, oui.

- On peut dire ça, je pouffe pour la rejoindre.

- Merci, dit-elle, soudain.

Je sais très bien à quoi elle fait allusion.
Tao.

- C'est normal.

Puis elle m'explique qu'elle doit raccrocher pour aller dormir, et je lui dis « au revoir » sans faux semblant. Je n'ai pas réussi à tout lui dire, mais je pense avoir fait remonter le principal.

J'envoie plusieurs messages à mes proches aussi, juste pour leur dire que je serai toujours là pour eux : Mélina, ma mère, mon père, Enzo mon collègue, Esteban un de mes potes proche que je n'ai pas revu depuis un bail, et même Adam y passe.
Depuis qu'il sort avec Simon, on ne le voit plus beaucoup. C'est fou comme l'amour peut-être différent chez les autres. Enfin, je parle plutôt de perception.
Leslie ne veut plus en entendre parler, Seona et moi vivons un amour compliqué mais avec beaucoup de connexion, et Simon et Adam vivent l'amour avec un grand « A », sans se poser de questions.

Parfois, je les envie.

Puis je me souviens que Seona était, à la base, mon ennemie. Celle que je détestais, celle contre qui je voulais me battre. Trois mois après, c'est POUR elle que je veux me battre.
C'est à ses côtés que je me sens vivant, que je me sens moi-même, que je prend conscience que ma prothèse m'appartient, qu'elle fait partie de moi et que je n'ai aucune raison d'en avoir honte. C'est avec elle que je veux continuer de grandir, que je veux passer des repas en famille comme celui que nous avons partagés la dernière fois. C'est elle que je veux voir rigoler avec ma soeur comme si elles étaient les meilleures amies du monde. C'est pour elle que je veux ouvrir mes paupières tout les matins pour la découvrir dans mon lit à moitié nue, que je veux réussir mes projets et m'épanouir dans mon quotidien.

Elle est le comble de mes maux, celle pour qui je suis prêt à aller en prison. Celle qui se trouve dans 80% de mes dessins, celle qui vit dans mes rêves et qui me sauve durant mes cauchemars.
Je ne pense qu'à elle.

En parlant du loup, je suis surpris de voir la porte du bâtiment s'ouvrir. Je plisse les yeux afin de mieux apercevoir qui vient de sortir, quand je remarque les petits yeux de Seona qui cherche ma voiture alors qu'elle n'a pas bougée.
Quand elle s'assure que c'est bien moi, elle s'avance plus rapidement jusqu'à mon véhicule. Lorsqu'elle s'approche de la vitre, son teint est blanc, son regard est livide et sa bouche est si rosée que j'ai l'impression qu'elle a embrassé quelqu'un pendant des heures. Je ne parviens pas à distinguer si ce qu'il s'est passé dans ce commissariat est positif ou non.

En enfouissant ses fesses sur le siège passager, je l'observe sans dire un mot. Elle ne me regarde même pas, ce qui a d'ailleurs le don de m'interloquer, et fixe le pare-brise avant de tout d'un coup, sourire.
Cette réaction me bouleverse, si bien que je ne réussis toujours pas à dire quoi que ce soit.

- C'est bon, elle articule enfin.

- C'est bon ? Je répète en plaçant mon bras au dessus de son siège.

- C'est fini, elle hurle de joie. Tout est terminé.

À la nuit tombée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant