CHAPITRE 50

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Gabriel

Je le vois bien dans ses yeux qu'elle ressent la même chose que moi. Mais je vois aussi que c'est trop dur pour elle de l'avouer, ou tout simplement de le ressentir complètement, sans retenue.

Les mots sont sortis bien trop facilement de ma bouche, et carrément, elle est restée ouverte en forme de « o », attendant la réponse de Seona qui ne me parviendra jamais.

Dans son short et débardeur noir de pyjama, assise comme une enfant tout au bout du canapé qui a accompagné mes nuits et les siennes plus d'une fois, elle esquive mon regard de la pire manière qu'il soit. Elle zieutes les alentours, comme si elle ne vivait pas ici depuis déjà plusieurs semaines, et qu'elle découvrait la pièce pour la première fois.

Son silence est encore pire que si elle m'avais dit que moi je ne lui manquait pas.

La tête baissée vers le sol, je ne la regarde plus. Je suis lassé de lui courir après.

- Tu ne devrais pas rester là, commente t-elle en se levant près de la cuisine.

Sa voix m'a obligé à me relever, comme si ce qu'elle venait de me dire était un ordre plutôt qu'un conseil.

- Je ne sais même plus quoi te dire, avoué-je.

- Moi non plus.

J'ai l'impression qu'elle m'aboie dessus. Le pire, c'est que son ton est neutre, sa façon de parler est calme, sa manière de se tenir est lambda. En bref, elle ne semble pas être autant sur la défensive que ça. Seuls ses yeux me crient dessus.

Un pied après l'autre, je me condamne à l'écouter. Après tout, ce n'est plus chez moi, ici.

- J'aurai aimé qu'on enterre la hache de guerre, dis-je en l'atteignant près de l'îlot.

- Et moi j'aurais aimé que tu ne te serves pas de moi et que tu joue avec mes sentiments.

Je soupire.

- Je dois te le dire en quelle langue, bordel ?

Je me suis rapproché d'elle d'un peu trop près, causant une respiration lourde et très rapide dans ma trachée. Je dois sentir le tabac froid, mais Seona n'a pas l'air d'être dérangé par ça. Son visage levé vers moi me donne le tournis, si bien que la seule chose dont j'ai envie à cet instant précis, c'est de me jeter sur ses lèvres rosées et humides, après un léger coup de langue qu'elle a passé dessus.

- Je ne sais pas comment te le faire comprendre, Seona, mais les sentiments que j'ai pour toi sont bien plus fort que l'envie de vengeance.

Elle baisse les yeux et j'ai le sentiment qu'elle va regarder ma prothèse par dessus mon jogging.

Je déteste ça.

Par réflexe, je me retire de son corps qui allait presque rentrer en collision avec le mien et je me frotte la cuisse. Soudain, sa main empoigne mon tee-shirt et me ramène à elle.

- Je ne regardais pas ta jambe, m'explique t-elle en chuchotant. Je regardais tes mains.

En me disant ça, elle me les prends et analyse la paume de ma main droite. Du bout de son index, elle dessine les traits et parcours chaque centimètres de ma peau. Aucune fille ne m'a jamais fait ça.

- Tu veux toujours que je te laisse ? Murmuré-je contre elle, en approchant mon nez de ses cheveux pour que je puisse les sentir.

Toujours en fouillant ma peau, je colle mon torse contre sa tête. Elle semble hésiter, puis après quelques secondes, elle s'appuie enfin contre moi.

C'est bon, je me sens enfin entier.

Mes yeux se ferment tandis que ma joue vient se poser sur le haut de son crâne, en prenant le soin de ne pas m'approcher trop près de sa blessure. Son soupire rempli mes oreilles de sa mélodie, et je me sens vivant. Je prierais pour que le temps s'arrête, mais vu que je ne crois en rien, je ne suis même pas sûr que cette prière servirait à quelque chose.

Ma main retombe contre ma cuisse, et de mon autre bras, je l'enroule. Elle est blottie contre moi, sans rien dire, sans bouger. Putain, je crois que je suis vraiment amoureux d'elle.

Sans se concerter, je remarque que sa tête se relève, alors je me retire tout doucement pour la regarder.

Je ne sais pas pourquoi, mais par gourmandise, je la fixe.

Nos yeux se parlent, encore. Je dirais que parfois, un regard parle plus que des mots. Et c'est notre cas, à tout les deux. A nous.

Sa manière de le faire me stimule. Je n'arrive presque plus à me contenir, alors sans que je m'y attende, je craque :

- Et puis merde..

Mes lèvres se plaquent contre les siennes. Je les dévore de tout mon être, appréciant chaque coups de langues que nous échangeons. Mes doigts viennent se caler sous son débardeur, à la recherche d'une chaleur similaire à notre baiser. J'ai limite l'impression de trembler, tellement elle me fait de l'effet. Son goût est parfait, exactement comme quand je l'embrassais auparavant. Je ne savais pas qu'un goût pouvait manquer à ce point. Et puis sa bouche est douce, je la bouffe comme si c'était le dernier repas qu'elle m'offrira.

Mais pendant que je l'embrasse, je ne sens pas qu'elle se colle à moi, qu'elle me touche ou qu'elle s'enivre de nous. Je sens qu'elle se laisse faire, comme si elle acceptait ce baiser juste pour moi. Juste pour me faire plaisir.

D'un coup, mes lèvres s'éloignent malheureusement d'elle et je ne perd pas de temps pour étendre mon bras jusqu'à l'îlot et reprendre ma casquette, que je fous directement sur ma tête.

Seona semble perdue, mais aussi insensible.

Elle n'a pas tort quand elle dit qu'elle est contradictoire.

D'un geste, je m'excuse auprès d'elle et gagne la porte d'entrée. Je rattache ma veste que j'avais ouverte avant d'entrer puis marche un peu trop vite en sortant de son appartement.

Je ne surveille même pas derrière moi pour voir si elle m'a suivit ou si elle est totalement indifférente, alors une fois arrivé devant l'ascenseur, je suis presque attristé de comprendre qu'elle a refermé la porte dès mon départ.

Elle n'en avait rien à foutre de notre baiser.

Maintenant que je suis sorti de la résidence, je m'approche de ma voiture et y pénètre.

Sans grande surprise, je pose mes deux bras sur le volant et dépose ma tête entre eux.

- Quel con, marmonné-je.

En relevant les yeux pour zieuter le parking, une angoisse me monte : mon carnet.

Mon carnet de dessin n'est pas sur moi.

Mes mains se mettent à fouiller les poches de ma veste, mais il demeure introuvable. Je le porte toujours avec moi, sur moi.

Par automatisme, je vérifie malgré tout sous et sur les sièges, par terre, et dans la boite à gant.

Mais aucune trace de mon livre fétiche.

Il y a toute ma vie là dedans.

Mon cerveau m'envoie un signal de panique quand je me rend compte que je vais devoir retourner chez Seona pour voir si je ne l'ai pas fait tombé chez elle.

Je n'ai pas le choix.

À la nuit tombée Där berättelser lever. Upptäck nu