53 - Newt - Seul

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Je repris ma route peu avant le lever du soleil. Je n'avais pas beaucoup dormi dans la petite maison que j'avais empruntée pour la nuit, mais l'adrénaline compensait.

Je détestais employer les méthodes de Blake, que m'avait rapidement expliquées Rachel, mais je ne voyais pas comment j'aurais pu trouver le sommeil derrière une benne à ordure. Je devais conserver un maximum de forces si j'espérais trouver Ella.

Ce qui me gênait le plus, au fond, était la solitude. Pendant les quelques semaines que j'avais pu passer avec d'autres Marqués, j'avais presque oublié à quel point tenir quand personne n'était là pour m'encourager ou marcher à mes côtés m'était difficile.

J'avais toujours été comme ça, très tactile et à la recherche du contact humain. Je me souvenais que ça faisait bien rire ma mère, à l'époque. Elle me racontait souvent la journée où elle avait dû marcher avec moi accroché à sa jambe parce que je ne voulais pas la laisser partir de la maison. Par chance personne n'avait remarqué que mon comportement était déjà déviant, puisque les petits enfants ont souvent tendance à montrer des émotions, qui s'effaceront ensuite.

Ça avait été plus difficile de le cacher en grandissant. J'avais dû apprendre à agir comme les autres garçons, à me glisser dans le moule, à être irréprochable. J'avais dû m'inscrire au karaté, demander des voitures télécommandées et des jeux vidéo à mon anniversaire, parce que c'était ce que les gens attendaient de moi. Ma génitrice avait même essayé de me pousser à draguer les filles de mon école primaire, et se désespérait devant ma timidité maladive. Je n'avais jamais trouvé vraiment "nulles" les personnes du genre opposé, mais ce qu'elle me demandait de faire était inconcevable pour moi. Peut-être qu'elle le faisait, elle, quand elle était petite. À l'époque où je l'avais connue en tout cas, elle était sacrément extravertie. Elle n'avait peur de rien, avec elle je m'étais toujours senti parfaitement en sécurité.

Ce que les gens ne savaient pas, était que quand j'étais à l'abri à l'appartement, tous les jouets de garçons qui ne m'intéressaient pas prennaient la poussière au fond des placards pendant que je m'amusais à faire des colliers de perles et des dessins pour maman. Personne ne pouvait savoir, ou on m'aurait placé à l'Infirmerie pour surveiller l'évolution de ma déviance.

Mais ça ne m'avait pas empêché de vivre une enfance heureuse jusqu'à mes huit ans. À l'école tout me semblait vide et froid, mais dès que j'étais chez moi je passais mon temps à rire.

Son arrestation m'avait brisé le cœur, mais le plus dur avait été de ne pas paraître touché devant les autres. J'avais dû faire semblant d'être heureux, dire que tout était pour le mieux, que le gouvernement m'avait sauvé en mettant hors d'état de nuire une dangereuse Marquée, alors que tout en moi hurlait le contraire. Ma mère n'aurait pas fait de mal à une mouche, elle ne m'avait jamais mis en danger même pas accident.

Ma tante Natalie m'avait beaucoup soutenu, mais malgré son extrême gentillesse elle n'avait jamais pu remplacer ma génitrice. Elle était très jeune pour s'occuper d'un enfant comme moi, pour commencer, et je n'étais pas vraiment sage au début. Je refusais de l'écouter alors que le moindre comportement déviant en public pouvait causer notre perte à tous les deux. J'étais allé vivre chez elle en laissant les années de rires et de larmes derrière moi, pour commencer une nouvelle vie pleine d'angoisse.

Si Natalie ne s'était pas mariée, c'était en partie à cause de moi. Quand elle s'était proposée pour devenir ma tutrice elle n'avait que vingt-trois ans, car douze de moins que ma mère, et n'avait pas fini ses études de chimie. Le gouvernement ne lui avait donc pas encore attribué de compagnon, et elle avait réalisé les démarches nécessaires pour que ce ne soit jamais le cas. Ce n'était pas interdit, car même si tout était fait pour éviter les jumeaux leur existence outrepassait parfois la demande de deux enfants par couple, surtout dans les Cercles extérieurs où les retombées des recherches en médecine étaient moins flagrantes et où la pauvreté régnait.

MarquésWhere stories live. Discover now